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26 février 2021 5 26 /02 /février /2021 13:47

POST-SCRIPTUM : LE MYTHE DE LUCRECE

 

Le fait d'être parti d'un écrit de Michel Onfray m'a conduit à négliger l'essentiel du travail de Vesperini sur Lucrèce, puisqu'Onfray en tirait parti pour disqualifier Epicure, qui avait été pourtant une de ses références : qu'il suffise de rappeler son épigraphe en tête du Manifeste hédoniste : « In memoriam, Hérodote, Pythoclès, Ménécée », donc en mémoire des trois destinataires des lettres recueillies par Diogène Laërce. Je n'y reviendrai pas, la question n'est pas de savoir si nous nous réclamons (ou pas) d'Epicure, mais plutôt de savoir qu'est-ce qui nous importe dans l'émergence d'une pensée hédoniste, qu'à tort ou à raison nous avons pu juger extrêmement moderne...

Revenons maintenant à ce que nous en dit Pierre Vesperini : « Et, de fait, on pourrait s'y méprendre .

Epicure enseigne que la nature est faite d'atomes et de vide, que les dieux ne se préoccupent pas des hommes ; qu'il n'y a rien après la mort : l'âme, matérielle comme le corps, meurt avec lui ; que le principe qui doit gouverner nos vies est la recherche du plaisir : le plaisir certes bien tempéré, mais plaisir tout de même, du ventre, du sexe, plaisir de l'amitié ; et enfin que, pour ne pas troubler son bonheur, il convient de ne pas se mêler à la vie politique ? Comment ne pas nous reconnaître dans cet enseignement ? Comment ne pas voir dans Epicure un Moderne avant l'heure ? » [page 15]

Même si beaucoup d'entre nous s'y reconnaissent, tout en sachant très bien qu'Epicure, en pratique, n'est guère plus hédoniste que ses rivaux stoïciens, parmi lesquels Sénèque, par exemple, le cite à tout propos dans ses Lettres à Lucilius, la vraie question serait de savoir, non pas si Epicure est au diapason de notre modernité, mais si l'épicurisme, et sa diffusion tout au long de l'histoire, a réellement joué un rôle moteur dans l'avènement des sociétés modernes, plus ou moins déchristianisées (du moins si l'on s'en tient au monde occidental), ce qu'on peut ramener à l'idée que les hommes n'ont qu'une seule vie, et que c'est d'elle avant tout qu'ils doivent se soucier, plutôt que de celle qui pourrait les attendre au-delà de la tombe. Il ne s'agit donc pas de sonder l'opinion sur la popularité respective d'Epicure, de Platon, de Descartes , ou de Bertrand Russell, que je tiens à mentionner à cause de son livre, Pourquoi je ne suis pas chrétien, où il commence par dire que son point de vue sur la religion est celui de Lucrèce. J'aimerais rappeler que le jeune Karl Marx avait encensé Epicure dans sa thèse de doctorat, Différence entre la philosophie de la nature de Démocrite et celle d'Epicure (je finirai bien par en parler quelque jour, et expliquer pourquoi je préfère Démocrite).

Mais je n'en crois pas moins que beaucoup d'entre ceux qui apprécient Epicure partagent ses idées (mais pas toutes, d'ailleurs) encore que rarement pour les avoir apprises directement de lui : s'ils se disent épicuriens, c'est plutôt parce qu'ils se sont cherchés eux-mêmes, et puis se sont trouvés, et l'ont trouvé lui-même à peu près fréquentable. Et c'est l'une des choses que nous confirme le travail de Vesperini : il parcourt en effet toute l'histoire de la réception de Lucrèce, qui n'est pas tout à fait celle de l'épicurisme, et qui nous montre aussi, comme l'archéologie foucaldienne, que nos raisons de lire et d'approuver un auteur, les questions que nous lui posons, l'enchantement, l' ennui ou le dégoût qu'il peut nous inspirer, s'éloignent fort de ce qu'ont ressenti les Romains d'autrefois, les étudiants du moyen âge, les hommes de la Renaissance, et puis ceux des Lumières, en attendant les Romantiques, qui seront bien, en fait, les créateurs du mythe

Il nous rappelle d'abord qu'en lisant De natura rerum, les Romains ne croyaient pas lire un « poème didactique », et encore moins un ouvrage philosophique, ils lisaient une « épopée », comme quand ils lisaient l'Enéide, ou les Géorgiques de Virgile, car l'épopée, pour eux, n'était pas définie comme une narration des exploits héroïques des guerriers d'autrefois : « C'est nous, Modernes, qui établissons une différence entre des épopées qui seraient didactiques ou scientifiques et des épopées qui seraient narratives ou mythologiques. Parce que pour nous, la guerre de Troie, ou l'expédition des Argonautes, contrairement aux constellations ou aux remèdes contre es serpents vénéneux, ne relèvent pas de la science. Mais pour la plupart des Anciens, et jusqu'à la fin de l'Antiquité, le père de l'épopée, Homère, est aussi le père de tout savoir et de toute sagesse, le père de la philosophia et de la philologia. » [page 92]. Et quand il s'agit de l'épopée de Lucrèce, c'est bien pour cela que son commanditaire, Memmius, a fait le bon choix en préférant un poème dont le sujet était « bien plus assuré de passer à la postérité qu'un poème célébrant les exploits guerriers de Memmius, qui n'auraient intéressé personne à part lui, ses parents et ses amis (et encore). Mais ce poème prenant pour matière la sophia tisserait le nom de Memmius dans ses vers. Le nom de Memmius y serait associé à la sophia et ne mourrait que le jour où le monde finirait. » [page 104 ]

« C'est qu'il s'agissait, rappelons-le, d'offrir à Rome un poème où le nom de Memmius fût lié à la sophia, non pas un manuel d'épicurisme. (…) C'est ce que formule parfaitement Quintilien, le maître de rhétorique, lorsqu'il recommande la lecture de Lucrèce. Il ne dit pas qu'on y trouvera un manuel d'épicurisme, mais qu'on y trouvera les enseignements du savoir et de la sagesse en général : praecepta sapientiae. C'est sans doute ce qui explique que le nom d'Epicure ne se trouve jamais dans le poème, à une exception près, où il est pris dans une énumération qui lui ôte toute primauté. » [pages 177-178 : en effet, le nom d'Epicure n'apparaît qu'au chant III, à la fin d'une énumération de morts illustres]

Lucrèce, sous l'empire, est tenu pour un grand poète, même si on lui préfère Virgile et Horace, et il le reste encore dans l'empire chrétien : vraies ou fausses, les histoires racontées par Saint Jérôme ne le desservent pas, et même au moyen âge, il n'est pas un auteur maudit : « Que Lucrèce n'ait pas été un texte aussi fondamental pour la culture médiévale qu'il l'est (au moins symboliquement) pour nous est une chose. Que Lucrèce ait été victime de l'hostilité des médiévaux en est une autre. Un dossier de textes achèvera de prouver, je crois, définitivement, que le moyen âge n'avait aucune hostilité à l'égard de Lucrèce. » [page 209]

La Renaissance n'est pas l'époque où, brusquement, Lucrèce émergerait après un long oubli, elle n'est surtout pas l'effet miraculeux d'une redécouverte du manuscrit de Lucrèce, telle que l'a mise en scène un best-seller de Stephen Greenblatt : «Il faut donc reconnaître ce retour de l'épicurisme pour ce qu'il est : une fiction historiographique. Fiction extrêmement récente d'ailleurs. On ne la trouve pas dans Jacob Burckhardt, pourtant si passionné à montrer le renouveau de l'Antiquité à la Renaissance. Ce dernier sait bien que l'épicurisme dont il est question dans les documents de la Renaissance est un épicurisme de convention, qui n'a rien à voir avec l'épicurisme antique. »

Montaigne, assurément, admire le poète, comme il lit les Vies des philosophes de Diogène Laërce, mais c'est encore plus l'expérience tragique de l'époque où il vit, les guerres de religion, et ce qu'il apprendra au sujet de l'Amérique, qui va se traduire tout au long des Essais.

Même au temps des Lumières, « Hume, malade, passe ses derniers mois avec ses amis à lire Lucrèce et Lucien. Mais quand on lui demande d'où vient son incroyance, la réponse fuse : « Il dit qu'il avait perdu toute foi quand il avait commencé à lire Locke et Clarke ». Ce sont donc toujours les auteurs modernes qui sont décisifs. Les Anciens, ensuite, confortent, amusent, réjouissent, entretiennent. Mais les maîtres, ceux qui changent des vies, des pensées, sont modernes. » [page 274]

C'est aussi le cas de Voltaire, qui jugeait qu'Epicure était « un très mauvais physicien », et celui de Frédéric II : « J'ai lu et relu le troisième chant de Lucrèce, mais je n'y ai trouvé que la nécessité du mal et l'inutilité du remède » [page 275]

Le roi de France Louis XVIII, « voulant taquiner l'académicien Pongerville », l'interrogea sur un vers de Stace, faussement attribué à Lucrèce : « Comment traduisez-vous ce vers de Lucrèce ? (…) Primus in orbe fecit deos timor... Le traducteur n'hésite pas une minute et répond La crainte sur la terre a créé les faux dieux. - Les faux dieux ? dit le roi : allons donc ! Le texte de Lucrèce n'en dit pas tant.- C'est vrai, Sire, c'est un vers à refaire. (…) Le roi avait fait une fausse citation. Le poète le savait et n'avait pas osé le dire au roi... »

Pierre Vesperini conclut de cet exemple que : « Lucrèce est donc essentiellement un nom, un nom à forte charge symbolique certes, mais un nom tout de même, dont il ne faut pas exagérer l'influence sur les philosophies modernes [page 276]

Le mythe de Lucrèce n'existait pas encore, mais il allait bientôt naître, dans l'imagination d'écrivains romantiques, comme Victor Hugo : « Je me souviens qu'étant adolescent, un jour, à Romorantin, dans une masure que nous avions, sous une treille verte pénétrée d'air et de lumière, j'avisai sur une planche un livre, le seul livre qu'il y eût dans la maison, Lucrèce, De Rerum Natura. Mes professeurs de rhétorique m'en avaient dit beaucoup de mal, ce qui me le recommandait . » - Tout ce qui suit, assorti d'une véritable vision, à la Hugo, des voyages entrepris par Lucrèce, est le récit du choc éprouvé et qui est double : choc philosophique bien sûr, pour cet adolescent élevé dans le climat de la Restauration ; mais aussi, certainement, choc poétique. » [page 281]

« C'est ce Lucrèce-là qu'adorait Gustave Flaubert, lui aussi latiniste hors pair (...) Les dieux n'étant plus et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été. Je ne trouve nulle part cette grandeur, mais ce qui rend Lucrèce intolérable, c'est sa physique qu'il donne comme positive. C'est parce qu'il n'a pas assez douté qu'il est faible ; il a voulu expliquer, conclure ! S'il n'avait eu d'Epicure que l'esprit sans en avoir le système, toutes les parties de son œuvre eussent été immortelles et radicales. N'importe, nos poètes modernes sont de maigres penseurs à côté d'un tel homme. » [page 282]

Je n'ai fait que survoler quelques pages qui vont, peut-être, susciter le désir d'en savoir davantage : il me reste donc à conclure, avec l'auteur lui-même : « Enfin, ce n'est pas en racontant de belles histoires sur les origines de la modernité qu'on sauvera la démocratie. Pire même, ces belles histoires empêchent d'affronter les problèmes les plus aigus auxquels nous sommes confrontés, et qui sont par définition absents de la tradition classique : les inégalités sociales de plus en plus scandaleuses et de plus en plus dangereuses pour l'équilibre civique ; les problèmes environnementaux ; les problèmes éthiques posés par les progrès techniques ; et les problèmes politiques inédits posés par la mondialisation » [page 286]

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23 février 2021 2 23 /02 /février /2021 12:27

Dans son livre Sagesse, Michel Onfray a carrément renié l'hédoniste Epicure, ce qui pourra surprendre les lecteurs de son Manifeste hédoniste, mais que pourront comprendre ceux qui avaient lu L'invention du plaisir : son sous-titre, en effet, Fragments cyrénaïques, nous signalait déjà qu'Epicure compte peu, pour ce véritable hédoniste, qui préfère, et de loin, Aristippe de Cyrène.

Désormais, il peut s'appuyer sur un savant ouvrage, consacré à Lucrèce, dont l'auteur est un normalien, qui le séduit assez pour qu'il lui ait épargné son sarcasme rituel, « l'Ecole dite Normale et prétendue Supérieure » (Ecole qui lui a fourni quelques cibles de choix, à commencer par Sartre et Merleau-Ponty).

« En deux ou trois livres, écrit notre hédoniste, Pierre Vesperini révolutionne la philosophie antique. Dès les premières lignes de son Lucrèce. Archéologie d'un classique européen (2017), il annonce la couleur : « Il existe aujourd'hui ce qu'on pourrait appeler un mythe de Lucrèce. Ce mythe raconte qu'il y eut à Rome, à la fin de la République, un homme – philosophe ou poète, on ne sait pas bien – animé de convictions épicuriennes, qui, désireux de transmettre sa foi à ses contemporains, aurait composé un poème didactique : le De rerum natura (sur la nature des choses). Ce poème, trop « radical »,pour son temps, trop « moderne », serait passé largement inaperçu, comme son auteur. Il aurait suscité aussi la méfiance du régime impérial, puis de l'Eglise, ce qui expliquerait qu'il ne soit presque jamais cité au moyen-âge. Heureusement, à la Renaissance, la redécouverte du poème par les humanistes aurait permis à l'Europe de s'initier aux théories d'Epicure, contribuant ainsi à la destruction du monde médiéval,et donc à l'avènement du monde moderne » [Sagesse, p 167]

Onfray confirme, à juste titre, la réalité de ce mythe et en approuve la « déconstruction » menée par Pierre Vesperini, puis il ajoute : « Si Lucrèce n'est pas le philosophe romain qui traduit en vers latins la pensée d'Epicure, quel est-il ? Pierre Vesperini le dit clairement : Lucrèce, qu'on présente comme un philosophe épicurien, n'était ni philosophe ni épicurien... Romain, oui. Mais pas philosophe, ni disciple d'Epicure. Car Lucrèce est un poète professionnel. Autrement dit un homme dont le métier n'est pas de penser mais d'amuser les riches qui lui passent commande (…) Le sénateur Memmius qui lui a passé commande de ce texte n'est pas une personne à convertir à la sagesse épicurienne, mais un mécène à distraire, à amuser. Lucrèce n'écrit pas si on ne lui passe pas commande. » [Sagesse, 168-169]

Pour faire court, disons que nous n'avons encore rien à redire, ni au commentaire d'Onfray, ni au travail remarquable de Pierre Vesperini, dont il faudrait peut-être signaler que l'emploi du mot « archéologie », glissé dans le sous-titre de son ouvrage, marque très nettement la filiation foucaldienne, qu'illustrera aussi le mot « épistémè », pris au sens que lui a donné Foucault dans Les mots et les choses. 

« Pourquoi passe-t-on commande ? Pour attacher son nom à la postérité, un tropisme romain. De fait, si Memmius n'avait pas sollicité Lucrèce, son nom serait resté obscur. Le poète crée de la valeur ajoutée à une vie qui dépasse les limites imposées par la mort (…) Lucrèce n'avait donc aucune envie de le convertir ; en lui offrant ce poème écrit sur commande, il lui donnait ce que l'autre payait : une caution politique. » [Sagesse, p. 170-171] Nous arrivons ici à ce qui peut gêner, et qui me gêne, en fait : « En passant, Pierre Vesperini règle également son compte à Epicure. Là aussi, c'est une nouvelle gifle ! Car, la chose se trouve clairement dite et démontrée, Epicure était le chef d'une faction, un patron de bande, le gourou d'une secte religieuse. Et l'auteur de prouver ses dires par des arguments qu'après lui on cesse de voir comme on les [sic] voyait. (…) Le Jardin fonctionne comme une secte avec, à l'intérieur, les amis, et, à l'extérieur, les ennemis. Il y a le dedans et il y a le dehors. Dedans, la dévotion est due au maître ; dehors, les ennemis. Si l'un des disciples quitte le Jardin, il devient un renégat à flétrir par tous les moyens. Ainsi Timocrate, qui avait dit que la villa vivait comme une secte et qui, de ce fait, l'a quittée, puis s'est vu transformé en ennemi à salir. L'épicurien Métrodore, qui était son propre frère, a ainsi rédigé plusieurs pamphlets contre Timocrate. » [Sagesse, p. 172-173]

Pierre Vesperini, en effet, sous-intitule ainsi son « Prologue à Athènes » : « Dans la secte du gourou Epicure », ce qui peut être pris dans un sens acceptable, tellement nous savons que, depuis Pythagore, les « écoles » philosophiques, qu'on appelle en grec « hairèseis », c'est-à-dire « hérésies » (mot qui dérive du verbe qui équivaut à "choisir"), sont assimilables à des sectes, dont l'hérésiarque serait le gourou : cela pourrait se dire aussi bien de l'Académie platonicienne que du Lycée d'Aristote, et du Portique stoïcien... On sait bien qu'Aristote, après vingt ans passés auprès de Platon, a quitté l'Académie quand la mort de Platon a donné lieu à l'avènement de Speusippe. Est-ce un mal inhérent à la philosophie, aux querelles doctrinales, ou à l'esprit de rivalité inhérent à la nature humaine ? La question serait de savoir si l'école épicurienne était bien plus sectaire, plus proche du modèle décrit par Karl Popper dans La société ouverte et ses ennemis, et faut-il l'imputer à la perversion d'Epicure ?

Quant à faire de lui, comme le dit Onfray, le gourou d'une secte religieuse, il faudrait tout d'abord s'entendre sur le sens du mot « religion », avant de proclamer que « loin d'être la plus moderne, la philosophie épicurienne était la plus archaïque des écoles athéniennes » [Venturini, p.15 : l'adjectif "religieux" est particulièrement ambigu, et si l'épicurisme est une religion, il ne l'est pas au sens où la religion nous enseigne à prier Dieu, ou les dieux, pour en obtenir des grâces, des bienfaits, ou de nous pardonner nos fautes, nos péchés, et même ceux qui ont précédé notre existence, comme le péché originel.]

Sur ce point, Venturini fait les premiers pas, il écrit, page 16, « que notre conception du divin, héritée du christianisme, voit la divinité comme un être transcendant, incommensurable. Il en allait autrement dans le polythéisme grec : les dieux étaient des êtres semblables à nous, animés des mêmes passions que nous, agissant et parlant comme nous, habitant le même monde que nous. La grande différence entre eux et nous, et leur bonheur, c'est leur immortalité, plus précisément leur éternelle jeunesse. Pour les Grecs, la condition humaine se signalait en revanche par la misère, le déclin, et la certitude du néant. » Remarquons tout d'abord que, dans le christianisme, c'est le dieu des théologiens qui est « transcendant », mais que le Dieu de la Bible, tel qu'il apparaît dans la Genèse, est tout autant « animé des mêmes passions que nous », colère, jalousie, cruauté, que les dieux des païens, ceux que vise Epicure en parlant des dieux de la foule. Mais à quoi bon parler de « secte religieuse », du moment qu'Epicure ne niait pas les dieux, et proposait aux « sages » de devenir des dieux, théothènai  : cela ne peut troubler que ceux qui voulaient croire qu'Epicure était un « athée », quand tous ceux qui l'ont lu, n'eussent-ils lu que la Lettre à Ménécée, cet équivalent du Protreptique chez d'autres philosophes, comme l'a vu Ettore Bignone, savent bien que l'impie n'est pas celui qui rejette les dieux de la foule, mais celui qui se représente la divinité comme les dieux de la foule...ce qui implique, entre autres, qu'ils n'interviennent pas dans le monde des hommes, et qu'ils n'y vivent pas, qu'il n'y a donc aucune raison de les craindre, ou de les supplier, comme le font les adeptes d'une « religion » qui n'est que « superstition »

Et ils savent aussi qu'Epicure promet à son disciple d'être comme un dieu parmi les mortels, ce qui ne veut pas dire qu'il sera immortel, puisque les dieux eux-mêmes, qui sont eux-mêmes des êtres composés d'atomes, ne seraient pas immortels s'ils vivaient dans notre monde, exposés à tous les contacts, et donc qu'ils ont besoin de vivre « hors du monde » ou plutôt hors des mondes, dans des intermondes... Sachant que les épicuriens étaient sans doute seuls à rejeter l'astrologie, à ne pas croire à la divinité des astres, il est peut-être abusif de les situer dans la plus archaïque des sectes, et quand il s'agit d'un philosophe « hédoniste », on est tenté de croire que c'est un reniement.

(à suivre)

 

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5 février 2021 5 05 /02 /février /2021 16:09

 

 

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* Democratisme ingenu i cinisme monàrquic

L'Agòn democràtic, afirmació immediata dels drets humans i de la sobirania del poble, expressa el que Crexells anomena una concepció ingènua de la sobirania. Es pot parlar, simètricament, d'un democratisme ingenu, i d'una concepció ingènua de 1e monarquia: la seva ingenuïtat és de creure que el sobirà, sigui el rei, sigui el poble sobirà -, exercita un dret: «En certs moments de la historia sembla evident que la monarquia exercita un dret irrecusable: un dret diví que no té cap anàleg en la legalitat o un dret humà que té l'anàleg del dret de propietat. En altres moments la monarquia detenta simplement un dret que ha usurpat als ciutadans (...). En un moment així els escriptors monàrquics deixen a segon pla la qüestió del dret de la monarquia i tracten de demostrar la seva utilitat per als ciutadans...(157)». Es a dir que han d'abandonar la concepció ingènua de la monarquia, introduint al seu lloc una concepció cínica, utilitarista: és així que Hobbes, defensant l'absolutisme monàrquic contra la revolució anglesa de 1640-1660, no pot fer referència al dret diví, ni a la transmissió hereditària que justifica, en la Bíblia, la successió dels patriarques, Abraham, Isaac, Jacob, etc., o la dels reis d'Israël, fills de David i de Salomó. Hobbes sap que no hi ha entre els homes cap desigualtat natural, i que no hi ha cap justificació natural del dret d'uns homes sobre els seus semblants. Per tant la institució d'un poder sobirà ha de justificar-se per la utilitat que trobaran els súbdits en acceptar el poder arbitrari del rei, o del Lord Protector, que els pugui assegurar la pau, sempre amenaçada per les pretensions d'homes que la igualtat natural disposa necessàriament a una guerra de tots contra tots. Simètricament, és possible de presentar una defensa cínica de la sobirania del poble:

«La teoria ingènua de la democràcia diu que el ciutadà exercita un dret en exercir la sobirania. La teoria cínica de la democràcia, sense deixar de banda aquest dret, diu que el que és veritablement important és la utilitat de la democràcia basada principalment en els seus defectes. Quan el monàrquic diu: - Es de justícia que l'home indiferenciat que mai no ha tingut cap concepte clar i científic sobre les qüestions essencials de la política decideixi cap qüestió de política?, el demòcrata cínic podria respondre: - Justament perquè l'home indiferenciat no té conceptes científics i clars sobre les questions essencials de la política és perquè és útil que opini, car és més probable que no es deixi portar per cap teoria extravagant sinó per les normes del sentit comú que son en política la mena de ciència més útil (158)». Aquí retrobem la defensa paradoxal d'una democràcia immobilista, que «tendeix a conservar l'estat de coses actual, a tornar lenta almenys l'evolució cap a coses noves (159)». Defensa cínica, el valor de la qual és només el valor d'un argument ad hominem, com ho assenyala Crexells, ja que diu:

«...homes del nostre temps, a la fi, nosaltres som reaccionaris (160)".

Recordem que no cal confondre ingenuitat i puerilitat. La ingenuïtat és el caràcter de l'home que ha nascut lliure, i que expressa el seu parer sense cap dissimulació, amb una franquesa innocent. El cinisme, en canvi, és propi del llibert, que no és encara prou segur d'haver-se emancipat, i vol fer veure que no respecta cap llei, i que ningú no el pot enganyar. No és segur que el llibert hagi realment superat la hipocresia forçada de l'esclau, mentre no sap que hi ha una diferència entre respecte i servilitat. El cinisme del llibert és una reacció a l'esclavitud, un rastre de servilitat que caldrà esborrar, si el llibert ha de fer-se realment lliure...

Littré contrasta, en el seu diccionari, «ingénuité» i «naïveté»: «...Ces deux mots désignent le naturel et la simplicité; mais l'étymologie y met une nuance: l'ingénuité est ce qui est propre à une personne libre; la naïveté exprime seulement ce qui est natif. De là vient que ingénuité est toujours un éloge, tandis que naïveté touche quelquefois à une simplicité trop grande, à une sorte de niaiserie». Hi ha més ambiguitat en l'us que fa Crexells del mateix mot, ingenu: la seva defensa «cínica» del règim democràtic, contra el cinisme monàrquic de Hobbes i de Maurras, no li fa oblidar que, a nivell de principi, el fet que la discussió s'hagi desplaçat del tema de la legitimitat al tema de la utilitat, representa una primera victoria democràtica: perquè el poder sobirà, quin que sigui el sobirà, no pot ser legítim si no és al servei dels súbdits. Fins i tot si és monàrquic, el poder és només una delegació del dret sobirà que pertany al poble: «...Jo m'he decidit, doncs, a adoptar la posició ingènua de triar la que estigui més d'acord amb la justícia. I com que no tinc prou ingenuitat per creure que l'autoritat d'un monarca sobre mi deriva del fet que Déu l'ha assenyalat amb el dit assignant-li una posició superior, ni tinc potser prou sentit jurídic per creure que el dret del monarca sobre mi es funda en el mateix fet que el dret de propietat d'un individu sobre una cosa, no puc adoptar la teoria ingènua de la monarquia. I és per això que m'he decidit per la teoria ingènua de la democràcia (161)».

A1 cap i a la fi, la qüestió essencial és la qüestió de dret, ja que la utilitat s'ha de definir en relació amb l'interès d'aquell que té un dret. Si no és el rei qui té el dret de manar, si la sobirania és possessió legítima del poble, la utilitat de la monarquia es redueix al fet que, en circumstàncies determinades, les institucions d'una monarquia puguin posar-se al servei d'una sobirania, que no és la sobirania del rei. La justificació cínica, utilitarista, del poder monàrquic, pressuposa que el mateix cínic hagi concedit al demòcrata ingenu la legitimitat del poble sobirà.

 

Nacionalisme cínic i nacionalisme ingenu

En la mateixa discussió, Crexells assenyala una diferència entre Hobbes i Maurras, i és que «la Commonwealth, que Hobbes pretèn que la monarquia serveix millor que la democràcia, té, com totes les concepcions de l'època i d'èpoques posteriors fins a principis del segle XIX, alguna cosa d'abstracte. En els moderns, el que la monarquia serveix es una cosa sanguejant de vida: la nació (...). Per Hobbes, cal salvar el Commonwealth, evitar que tornem a la lluita de tots contra tots... coses llunyanes ! ; per Maurras, cal salvar aquesta cosa vital i immediata que és la pàtria (162)»... I el monarquisme esdevé «el Nacionalisme integral».

Amb Maurras es produeix una doble metamòrfosi: del pensament monàrquic, i també, més encara, del sentit que s'havia donat a la nació i al nacionalisme. «En el segle dinové, el mot nacionalisme servi, de bon començament, per a designar els moviments de reivindicació nacional per part dels pobles oprimits o dominats», recorda Rovira i Virgili: «Hom parlava del nacionalisme irlandès, del nacionalisme polonès, del nacionalisme txec, i eren anomenats nacionalistes els patriotes d'Irlanda, de Polònia, de Bohemia. Hom entenia per nacionalisme l'ideal d'unitat i llibertat de les nacions veritables, diferents dels Estats oficials.

«A finals del segle nasqué a França una altra accepció del mot, la significança del qual fou deformada en el sentit del fanatisme patriòtic i de l'oposició agressiva a altres pobles i fins a l'esperit universal...(163)». Entre el nacionalisme ingenu, que expressava un principi de Dret, el principi de les nacionalitats, i el nacionalisme cínic, que es preocupa exclusivament de potència i d'interessos, hi ha una oposició radical, que l'homonimia no pot amagar.

«Per a nosaltres, diu encara Rovira, el nacionalisme és la tendència que proclama el dret de tota nació a tenir el seu Estat i a organitzar lliurement la seva vida pròpia(164)». Aquest nacionalisme és universalista, ja que «proclama el dret de tota nació», pensant que no es pot reivindicar els drets propis sense reconèixer, amb justa reciprocitat, els drets de les altres nacions. Aquest nacionalisme sap que «cal comptar amb els sentiments, amb l'estat d'esperit, amb la voluntat dels pobles(...). Perquè es pot donar el cas (...) que algunes parts de nacionalitat natural, per raons multiples i variades, no s'avinguessin a confondre's en el conjunt de l'Estat únic nacional i volguessin formar un Estat a part, ja sigui amb autonomia federal, ja amb completa independència. Si es tractés de fer un sol Estat de tots els Estats actuals de la nacionalitat alemanya, és segur que molts d'ells s'hi oposarien. Si els Suissos volen conservar llur exemplar i gloriosa Confederació, malgrat representar tres trossos desiguals de tres nacionalitats diferents, podem oposar-nos-hi en nom de cap teoria? (165)».

En el pensament de Crexells, el nacionalisme es defineix també en relació amb els valors universals que s'expressen en la forma del Dret: «Una qüestió nacionalista es planteja sempre com una qüestió de dret. Es tracta del dret d'una nacionalitat a regir-se per ella mateixa, a desenrotllar lliurament les seves activitats, etc.(...) I és que en el fons de tota actitud nacionalista hi ha aquest fet: la consciència d'un dret propi, que des del punt de vista moral i de justícia, ni tan sols l'adversari que de fet el trepitja pot deixar de reconèixer(166)».

Es tracta, doncs, de la legitimitat de les pretensions de cada nacionalisme, i és clar que no tenen el mateix sentit, la pretensió d'una nació que reclama el dret de regir-se per ella mateixa, i la pretensió que Virgili formulava en nom dels Romans:

«Tu regere populos imperio, Romane, memento.

Hae tibi erunt artes, pacisque imponere morem,

Parcere subjectis et debellare superbos (167)».

La primera pretensió no expressa res més que el principi democràtic del dret d'autodeterminació, la segona expressa el sentiment de superioritat d'una nació que s'atribueix una vocació imperial, si no es tracta senzillament del cinisme de la potència... El nacionalisme cínic diu que «cada terra fa sa guerra», i no vol conèixer res més que el joc dels interessos. Hi ha més subtilitat en l'imperialisme d'una nació que s'atribueix una missió històrica, sigui la vocació romana a «regere populos imperio», sigui la, més sofisticada, que ha sabut inventar l'imperi britànic. I és que, diu Crexells, «no es possible comprendre Anglaterra amb conceptes continentals. Manca l'element comú que permeti la mesura. Ve a ésser com voler mesurar la calor per litres», i si es vol «jutjar Anglaterra amb mesures angleses», «el que és difícil és que un continental pugui aplicar-les bé (168)».

«Els continentals, quan son a descobrir Anglaterra, oscil-len entre dues posicions, que apareixen amb un ritme regularissim. Al cap d'un quant temps que haveu descobert la perfidia anglesa us adoneu que els anglesos tenen tota la ingenuïtat d'un poble jove (...). Em refereixo especialment a la política. Sembla, d'una banda, que la política anglesa és d'una imprevisió que justifica la tesi de la ingenuitat. Però, d'altra banda, els resultats son tan excel-lents, i tan complicats, que tothom troba impossible que siguin obtinguts amb una política ingènua.(...) Jo no crec ni que la ingenuitat sigui la realitat i l'astúcia l'aparença, ni que l'astúcia sigui la realitat i la ingenuitat l'aparença (...) hi ha qualitats angleses que els continentals no sabran mai entendre. I una d'aquestes és el sentit polític peculiar dels anglesos; aquesta política simple i, diuen ells, straightforward, i ensems habilíssima que aparentment no preveu més enllà de deu anys, i que sembla, en canvi, en arribar un esdeveniment que tot hagi estat preparat de segles especialment per a ell (169)».

El mateix imperialisme, que sembla fer servir un maquiavelisme refinat, manifesta la convicció que, sempre i pertot arreu, defensa el dret i la humanitat, posant la seva força al servei de la justícia. La seva causa no pot ser dolenta, l'Ang1ès no s'ho pot creure, perquè no pot posar-se al lloc del seu contrari: «Poseu-vos al meu lloc», aquesta frase «amb la qual es pot fer vacil-lar la posició de tot home del nostre país», no l'impressiona gens. «Per a l'anglès, l'únic lloc existent és el seu. No hi ha res que tingui ni una ombra de justificació, llevat de la seva posició. Si el valor moral de les accions rau en la netedat de consciència, els anglesos son inatacables. Dins de la consciència d'un anglès, l'actitud d'Anglaterra en cada moment és la única moralment possible(...). Aquesta impossibilitat de posar-se en un altre lloc que no sigui el propi es manifesta en la vida política internacional, en l'aplom, únic al mon, amb què Anglaterra defensa els seus interessos. Sembla que hi hagi una harmonia preestablerta entre els interessos d'Anglaterra i la justícia immanent... (170).

L'imperialista creu, o vol creure, que es fa responsable dels interessos dels altres, i que amb la seva intervenció els defensa millor del que ells mateixos haurien fet; i aquesta bona consciència no és pròpia de l'imperialisme anglès, es pot trobar, també, en la teoria d'un imperialisme català, la que es podia trobar a les Gloses de Xènius: «El liberalisme diu: Tot individu és senyor del seu destí, tot poble és senyor del seu destí; del bé o del mal d'un individu, cap responsabilitat no en toca a un altre; del bé o del mal d'un poble cap responsabilitat no toca als altres» (...) L'Imperialisme diu: Vulgui o no vulgui, una solidaridat lliga cada home amb tots els altres (...) i així mateix els pobles estan units en solidaritat. Per això del destí de cada individu, de cada poble, en son responsables els altres, tan més responsables com més forts i més conscients son. Interveniu, doncs, continuament, homes, pobles! L'abstenció és un crim (171)». Xènius no es pregunta, evidentment, si aquesta intervenció és desitjada, acceptada i acceptable pels homes i els pobles a favor dels quals la intervenció s'ha de fer... Tot parlant de justícia, de solidaritat i de responsabilitat, l'imperialisme no deixa de ser cínic, perquè es justifica en nom dels interessos, reals o imaginaris, del feble que pretèn ajudar, i no vol tenir en compte el dret que té sempre el més feble, d'acceptar o de rebutjar l'ajuda que li ofereix, i que esdevé, en realitat, una ingerència forçada.

El nacionalisme democràtic dona un altre sentit a la solidaritat dels pobles. Una humanitat solidària, això no vol dir que tothom hagi de parlar la mateixa llengua, d'observar les mateixes lleis i de practicar els mateixos costums. Un poble és solidari d'un altre quan respecta els seus drets, i no quan comparteix interessos comuns; els interessos poden enfortir una solidaritat, no son ells que la defineixen. Entre els irlandesos, els txecs i els polonesos del segle XIX que esmentava Rovira i Virgili, la solidaritat no podia consistir en la defensa d'interessos comuns, sinó en la consciència d'una identitat de situació, que els portava a reivindicar els mateixos drets. L'obra de Kleist, que expressa la seva revolta contra l'ocupació d'Alemanya per l'imperi napoleonic, és una crida a la solidaritat dels pobles que volen alliberar-se d'una dominació estrangera. En el mateix sentit, si Hölderlin ha pogut situar l'acció de Hiperion a la Grècia del segle XVIII, sotmesa a l'imperi turc, ell mateix i els seus lectors sabien que «de te fabula narratur», és de tu mateix que es tracta en aquesta historia.

Es precisament a les darreres pàgines de Hiperion que podem trobar la famosa «diatriba» que Hölderlin adreça als Alemanys, i que Crexells comenta quan vol explicar-nos perquè Hölderlin és «el poeta nacional»:

«Bàrbars temps ha, amb el treball i la ciència esdevinguts més bàrbars encara... Es un mot dur, però el dic perquè és veritat. No puc pensar un poble més desfet que l'alemany...(172)».

Crexells subratlla «que aquests mots només tenen un valor nacional quan son dits per un patríota, i que l'autoritat per dir-los no la té qualsevol. Si a Catalunya digués mots semblants algun català que estés amb un peu o amb tots dos a Madrid, no tindrien altre valor que els mots semblants de l'enemic (173)». el poeta nacional és aquest qui pot renyar el seu poble, que li pot retreure la seva covardia i la seva vanitat, i no cal dir que a Catalunya, tan com a Alemanya, el poeta nacional ha de combatre la vanitat del seu poble:

«Estem tan habituats que ens diguin pel cap més baix hereus dels grecs, que quan Maragall parlant de Barcelona, la declara

...vana i coquina i traïdora i grollera

que ens fa abaixar el rostre,

ens ofendriem si no fos el to d'entusiasta elogi que darrera de tots els dicteris apareix. Llevat de Maragall no recordo cap cas d'un poeta català que parli amb la merescuda duresa del nostre país. Tot just ara s'inicia un patriotisme que resisteix el desengany i la modèstia. Fins ara, tot el patriotisme català estava edificat sobre la vanitat (74)».

Es pot aplicar a Maragall això mateix que Crexells deia de Hölderlin, i que defineix, al seu judici, el deure d'un patríota autèntic: «Hölderlin estima la seva pàtria. Però li parla sense adulacions, ans al contrari, amb gran duresa. Resistir aquests mots, és una prova per un país; dir-los, és l'acte de patriotisme més eficaç (175)».

 

* Contra l'historicisme

Es precisament «l'analisi dels fonaments d'una actitud nacionalista» que porta Crexells a explicitar les raons del seu rebuig dels historicismes, rebuig que no cal limitar al marxisme i al progressisme, perquè les mateixes raons valen igualment contra una interpretació cíclica de la Historia, i generalment tota mena de determinisme històric que, sense negar l'existència dels ideals, nega «que aquests ideals determinin en cap grau la marxa de la Historia. Aquests ideals no son productors sinó productes de la Història...(176)».

Si el nacionalisme no es redueix a la defensa d'interessos determinats, si s'ha de definir en referència al dret d'autodeterminació que proclama el principi de les nacionalitats, és clar que és incompatible amb el determinisme històric: «quan una qüestió es discuteix en el terreny del dret, es té un cert optimisme respecte a la possibilitat de realització dels ideals justos; (...) es creu, en fi, en la llibertat humana, que no obra simplement per raó de l'existència de certes coses, sinó per raó de la justícia de certes altres. Però això suposa la falsedat del determinisme històric (177)».

No cal dir que aquesta tesi lliga lògicament amb la critica del relativisme exposada en l'assaig sobre les veritats absolutes. I que aquesta critica val tant contra Spengler que contra el progressisme de Hegel i de Marx: «Spengler hace la afirmacion de que su obra solo tiene sentido en una cultura como la occidental, cuya vision del mundo es històrica. Pero con ello pierde su filosofia el derecho a hacer las afirmaciones de que no hay una matematica absoluta, ni una física absoluta, ni un arte absoluto, porque a estas afirmaciones debe seguir la limitacion para el hombre occidental (178)». I per això cal rebutjar l'amor fati que teoritza Spengler, quan diu que nosaltres vivim en una època de decadència, i no podem fer altra cosa que viure en conformitat amb els valors decadents de l'època en la qual hem de viure: «Hay que amar nuestro propio destino y conformarnos con él. Si algunos hombres de la nueva generacion, dice el autor, bajo la impresion de este libro, se aplican a la tecnologia en vez de la lirica, a la marina en vez de la pintura, a la política en vez de la teoria del conocimiento, haran lo que yo deseo y lo mejor que se les puede desear (179)».

Ara, podem observar que Crexells comparteix amb Spengler el sentiment que els qui viuen en una època de decadència no poden prescindir de les multiples influències que el Zeitgeist imposa al seu pensament. El cert és que, si hem de reconèixer la presència d'aquest esperit del temps en la nostra sensibilitat, podem jutjar-la i rebutjar-la, i és el que fa Crexells, en el seu comentari d'una visita a la Gliptoteca de Munic:

«Munich posee una de las mas bellas colecciones de escultura griega arcaica que existen en el mundo. (...) Por una curiosa paradoja, prefiero sobre todas las cosas estas esculturas, sobre todo el Apolo de Tenea, que es la quintaesencia de la escultura arcaica, mientras reflexivamente me parece mi juicio inexacto y limitado como propio de una época de decadencia como la nuestra (180) «.

Aquesta denegació «reflexiva», i més aviat voluntària, i voluntarista, del seu sentiment espontani, podria relacionar-se amb les influències del noucentisme orsià, i d'aquest altre predicador dels clàssics que escriu, en el prefaci d'Anthinéa: «Aussitôt que le beau lui cause de l'ennui, un honnête homme s'examine et travaille à se corriger (181)». El mateix Charles Maurras, quan visitava el museu del Partenó, manifesta un rebuig espontani de l'escultura arcaica, i no li calia lluitar contra una sensibilitat decadent: «...considérant l'oeil bridé des quatorze prêtresses du premier Parthénon: - Hélas, disais-je, qui m'ôtera de la ces Chinoises! (182)».

En canvi, per a Crexells, «esta expresion de las estatuas arcaicas, esta medio mueca, medio sonrisa, esta sencillez del movimiento, son de una simplicidad tan profunda que nos atraen irremediablemente», i no se'n pot desprendre sense teoritzar sobre el classicisme i la decadència: «Considero como época clasica una época de objetivismo, como época de decadencia, una época subjetivista (...) nos encontramos en una época de decadència en todos los aspetos; cosa que tiene su valor, puesto que la historia se constituye por épocas de clasicismo y de decadencia, y solo se pueden olvidar porque no tienen valor las épocas de frivolidad (183)».

Teorització que es retroba, formulada amb més precisió, en la sèrie d'articles on Crexells ha volgut defensar «una tendència marcadament objectivista i apriorista, en oberta contradicció amb les tendències avui dominants (184)»:

«Per molts homes d'una sensibilitat afinadissima i sobretot posada a l'hora actual, contemplar una obra d'art és posar-se en l'estat d'esperit del creador, en certa manera, recrear-la. Es per això que les obres modernes de més èxit son sovint obres inacabades. Com si l'obra d'art no fos un producte de l'artista independent d'ell, sinó un tros de carn i d'ànima d'ell mateix (185)». Ara, aquesta critica del subjectivisme estètic s'assembla més a les teories de Karl Popper que a la predicació noucentista dels clàssics. Popper diu, en la seva autobiografia, que l'expressió no és pròpia de l'art, ja que tothom s'expressa en cada gest, en cada paraula, fins i tot en la seva manera de caminar. Es clar que l'artista, ell també, s'expressa en la seva obra, i no és per això que l'obra guanya el seu valor universal, i que es fa reconèixer com un producte de l'art. No és perquè el public té el sentiment de combregar amb el creador, i de compartir l'activitat creadora, que es tracta d'una autèntica obra d'art, si el valor de l'art no es redueix a produir emocions. Naturalment, això vol dir que no es pot parlar de «progrés» artístic, perquè els progressos tècnics, que ens permeten avui de produir mecànicament, i de manera més eficaç, els efectes emocionals que també produeix la música, el teatre o la pintura, no es poden valorar amb cap altre criteri que el criteri tècnic... El rebuig del subjectivisme, és a dir del psicologisme, és encara lligat amb la critica del relativisme històric, i amb la defensa d'un classicisme, que no és cap academisme. No es tracta pas de reservar el títol de clàssic, com un label de qualitat, a poques obres, produides en conformitat a les regles d'un «art poètic». Entre el Racine clàssic i el Shakespeare romàntic, que ha pogut contrastar Stendhal, és Shakespeare qui rep la palma, perquè «Shakespeare és un d'aquells casos on totes les regles fallen. Es el geni que imposa a la producció les seves pròpies lleis, les quals no son aplicables a cap altra producció (186)». En canvi, «hi ha un cert sentit del mot clàssic, segons el qual Racine és més clàssic que Eurípides. Pitjor per Racine i aquest sentit del clàssic...(187)».

 

La Historia a l'inrevés

Tant si es pensa la Historia en un esquema progressista que si es pensa, a l'estil de Spengler, com una successió de cultures nacionals, que han de caure en la uniformitat d'una civilització decadent, es tracta sempre de justificar post festum la necessitat de l'evolució observada. Es possible d'imaginar, doncs, que si tota la historia humana s'hagués produit a l'inrevés de la Historia que coneixem, els mateixos interpretes de la necessitat històrica, fent servir els mateixos mètodes d'interpretació i els mateixos conceptes, sabrien explicar aquesta altra historia, en la qual ja pensava Plató, que li havia donat la forma d'un mite, explicant el que passaria, si els déus deixessin de governar l'univers... Es el mite del Polític, que han reinventat, recentment, autors de ciència-ficció , entre els quals destaca Philip K. Dick .

Sense tenir, potser, les qualitats que cal per inventar històries de ciència-ficció, Crexells sentia les possibilitats que aquesta forma literària, que era encara a les beceroles, podia oferir a l'exposició concreta d'un tema filosòfic. Es així que ell mateix ha escrit una historia de ciència-ficció, o un conte filosòfic, amb el resum del qual comença l'article que Norbert Bilbeny dedica a la «memòria de Joan Crexells, filòsof català»:

«Una nau espacial surt de la Terra en direcció a una llunyana estrella. Com que la seva velocitat és molt superior a la de la llum, al cap d'un any serà a la seva destinació, i els seus viatgers, amb un potent telescopi, podran observar, donada l'enorme distància, no pas el que succeeix a la Terra en el seu mateix moment, sinó un miler d'anys abans. A més, i aquí hi ha el més singular del cas, aquestes dades els arriben a l'inrevés del sentit ordinari amb què comptaven, abans, el transcurs del temps. El segle XX, així, vindrà abans del XIX, i aquest abans del XVIII, fins que el progrés o evolució dels temps s'atura en l'anomenada prehistòria, que és el moment present. A la nau hi viatgen un filòsof, un economista, un biòleg i un sociòleg, els quals tindran el privilegi de refer d'aquesta manera la historia i constatar, de passada, que el segle XX va ser una de les èpoques mes fosques i equivocades per les quals ha passat la humanitat (18 3)».

La forma literària d'aquesta historia de ciència-ficció fa més pensar en els llibres de Jules Veme, i en els films de Méliès, que en aquesta ciència-ficció moderna que podem llegir actualment. Es així que Crexells no explica de quina manera un telescopi pot permetre d'observar fets morals i socials, la comprensió dels quals necessitaria, com a minim, una versió sonoritzada d'un film que pertany encara a l'època del cinema mut. I tampoc no diu res que ens pugui explicar l'extraordinària distracció de científics que obliden immediatament les condicions d'una experiència que és possible només perquè la nau des de la qual poden observar la Terra se'n està allunyant amb una velocitat superior a la de la llum... Científics que fan pensar a les caricatures que ens havia presentat Jules Veme: el geògraf Paganel, en Les enfants du capitaine Grant, o l'enginyer Camaret, en L'étonnante aventure de la mission Barsac. Curiosos científics, que no s'adonen mai del que passa al seu entorn... L'ambició de Crexells, és clar, no era pas de tenir un lloc en les antologies de la ciència-ficció. Donava més importància al contingut intel-lectual d'aquesta reconstrucció imaginària del nostre passat, que a la forma narrativa en la qual s'hauria pogut presentar. La forma narrativa permetia d'imaginar, i de presentar en forma de pastitx, els informes que podrien fer, tornant d'aquest viatge, els deixebles de Hegel, de Darwin, de Comte i de Marshall. Cadascú ha de fer una palinòdia de la seva doctrina, palinòdia que fa pensar en els jocs dialectics que trobem, per donar un exemple, en el Fedre de Plató. El filòsof, tot seguint el ritme triadic de les exposicions hegelianes, i conservant el tema de l'Astúcia de la Raó, explica com «...l'Astúcia de la Idea fa servir els motors i els motius individuals per realitzar-se ella. Quan a mitjan segle XIX s'establí l'esclavitud, la institució que després es generalitza amb tanta fortuna, els Estats del sud d'Amèrica del Nord creien defensar avantatges econòmics; en realitat, però, eren un simple instrument de la Idea (189)»

I finalment presenta una teoria de l'evolució històrica del Dret, que troba la seva finalitat en un estadi superior, en el qual ja no subsisteix cap principi jurídic...

L'economista presenta una historia dels intercanvis comercials que culmina, naturalment, quan desapareix la moneda, el biòleg constata que la selecció natural es realitza millor quan ja no és frenada per prejudicis morals i intervencions medicals, i això li fa creure que «l 'home actual» (és a dir, per a nosaltres, l'home prehistòric) «és el superhome que a la darreria del segle XX pressenti Nietzsche... (190)». Al cap i a la fi, el sociòleg s'inventa una nova versió de la llei d'Auguste Comte, en la qual el coneixement huma, començant amb el «materialisme verament barroer» del període científic, passa després a l'etapa metafísica, quan «es descobreix l'ànima i es tracta d'interpretar la natura en funció d'ella», i finalment arriba a una etapa teològica en la qual ja sap «descobrir en les coses naturals i àdhuc materials la presència i l'eficàcia de les potències sobrenaturals que estan intimament unides al món de la nostra natura (191)».

Naturalment, aquesta inversió de les tesis filosòfiques i científiques no canvia res en l'estructura i les pressuposicions metodològiques d'aquests savis qui han de cantar la palinòdia. Es així que l'economista, quan arriba a parlar del progrés que representa la supressió de la moneda, no deixa de pensar que l'intercanvi de les riqueses, amb moneda o sense moneda, correspon a les necessitats que genera la divisió del treball. La única diferència, entre el comerç i el bescanvi, rau en el fet que l'intercanvi comercial redueix les riqueses a determinacions de quantitat, mentre el bescanvi que es fa sense la mediació artificial de l'equivalent monetari, no pretèn més reduir les diferències de qualitat a una equivalència convencional, i s'ha de complir en la forma del doble present: «A té un parell d'arracades i B un braçalet, i A desitja el braçalet i B les arracades. Els àntics feien la reducció a diner, i si el parell d'arracades valia, - per posar un exemple senzill - , la mateixa quantitat en diner que el braçalet, feien un canvi. Però els moderns, que tenim una fina percepció per les diferències, diem: el canvi és impossible perquè entre un parell d'arracades i un braçalet no hi ha denominador comú: Que A faci a B el present de les seves arracades i B faci a A el present del seu braçalet (192)». Aquesta teoria, és clar, manté les pressuposicions de l'intercanvi comercial: és perquè A desitja el que B posseeix, i que B necessita el que li pot donar A, que s'inventen la solució que és el doble present, sense haver de passar per la mediació artificial de l'equivalent monetari. Aquest "progrés" econòmic s'interpreta en les representacions habituals dels economistes. No es tracta pas - i no es pot tractar - d'un ressò de l'assaig que, pocs mesos abans, havia publicat Marcel Mauss.

Aquesta historia és una faula, i ensenya una lliçó, que es pot explicitar quan s'arriba al final: «S'ha dit de Bernard Shaw que les seves paradoxes serien més brillants encara si no volgués explicar-nos-en el mecanisme en els pròlegs dels seus drames. Bernard Shaw ensenya la trampa, s'ha dit (193)».

De fet, «ensenyar la trampa», és formular explicítament la moral de la historia: «Es molt possible que ensenyar la trampa disminueixi considerablement l'efecte estètic de les coses. Però, en canvi, serveix per aclarir-les (...). Amb el bon desig que se'm tingui per més amic de la veritat que de la paradoxa, per bé que enamoriscat de totes dues, jo em permetré d'ensenyar la trampa d'aquest article, explicant quina és la meva intenció. Es un fet que en l'evolució de la Humanitat s'han obtingut algunes coses; en un cert ordre d'idees s'ha realitzat algun progrés. Però és un fet que per tal d'obtenir aquest progrés ens ha calgut sacrificar i deixar destruir moltes altres coses. Es lògic i natural que nosaltres pensem que les que hem salvat són les més importants... (194)».

Es lògic i natural, podriem afegir, que el progressisme presenti una visió unilateral de l'evolució històrica, en la qual el que s'ha perdut sembla ser de poca importància, i ens cal acceptar el sacrifici que se n'ha fet, ja que és la condició dels avantatges que hem pogut guanyar. La més gran felicitat dels més nombrosos, si hem de fer, a l'estil de Bentham, el càlcul utilitarista de les satisfaccions i de les penes, no pot coincidir amb la felicitat completa de tothom. I en la versió metafísica del principi d'utilitat, el millor dels móns possibles, tal com ho defineix la Teodicea de Leibniz, és un mon en el qual no és possible esborrar el mal, perqué un mal menor condiciona la possibilitat d'una perfecció més alta...: «Però, que diria un home que visqués la Historia a l'inrevés? Tenim dret a suposar que seria d'acord amb nosaltres, o més aviat trobaria que les coses importants son les que nosaltres hem anat perdent, que per a ell serien les que hauria anat guanyant? (195)».

L'evidència del progrés, o més aviat l'acceptació acrítica que li hem concedit, tradueix, d'una banda, una certa peresa mental, que ens fa atribuir un caràcter irreversible a tots els canvis que s'han produit en la historia, i també tradueix una valoració positiva del canvi, sobretot en el cas dels progressos tècnics, que haurien, pel que sembla, millorat la condició humana. L'home modern té «la possibilitat de viatjar, de veure mon, de visitar pobles i maneres de viure diferents de les nostres (196)», i per tant el seu pensament s'eixampla i s'enriqueix...

Crexells no s 'ho creu, i respon que «l'augment de velocitat de les comunicacions ens ofereix de veure pobles més llunyans, però no pobles diferents. Es un fet comprovat que com més s'acosten els pobles per la facilitat de les comunicacions, més van assemblant-se. Volem posar pobles ben diferents a l'abast de la gent, i quan la gent pot anar-hi amb facilitat, es troba que son un simple duplicat d'ells mateixos. Es possible que en un temps no molt llunyà, es podrà anar a Austràlia en una hora. Però això passarà quan les diferències entre nosaltres i Austràlia seran aproximadament les mateixes que les que es troben a la distància d'una hora, avui... (197)». I és encara pitjor: «Hom pot anar avui de Paris a Melbourne com abans s'anava d'Esparta a Atenes. El filòsof progressista ens dirà que això eixampla considerablement el conjunt d'elements amb els quals cada home resol els seus problemes. Però la realitat és que a l'home que surt de Paris, Melbourne li és molt menys estrany que a l'home que sortia d'Esparta, Atenes (198)».

el nostre pensament viatja molt més lluny quan llegim els clàssics, la Historia de Tucidídes, els diàlegs de Plató i els drames de Shakespeare, ara que estem segurs, si anem a les Antipodes, que ens hi trobarem a Europa...

 

A tall de conclusió

Europa, en aquest cas, és també Amèrica, i no és cap casualitat si la projecció planetària d'Europa s'anomena, de fet, «american way of life». No cal adoptar les tesis de Spengler, ni establir una oposició radical entre cultura i civilització, per a sentir l'enyoranca dels temps, en què Europa era lluny de ser una entitat uniforme, i aquest nom feia referència a la diversitat de les cultures europees. Aquesta era l'Europa en la qual modernistes i noucentistes volien fer tornar una Catalunya que se n'havia allunyat durant tres segles de decadència: com ho havia dit Alexandre Dumas, «l'Afrique commence aux Pyrénées». El pensament de Crexells s'ha de situar en aquest corrent de retorn a Europa, que acompanya, a Catalunya, la Renaixença literaria i l'aparició del catalanisme polític. Això vol dir que l'estudi del seu pensament filosòfic s'hauria de completar amb l'estudi dels seus altres escrits, i una reconstitució de l'ambient cultural a on l'hem de situar. Una tasca ja començada, com ho manifesta el títol de l'estudi dedicat a «Joan Crexells en la filosofia del Noucents» (Bilbeny, 1979), però que queda, en bona part, al davant nostre.

 

NOTES I REFERENCIES

 

[notes de la seconde partie]

(10l) I, p.540.

(102) Héraclite, Fragments, edició de Marcel Conche, P.U.F., Paris 1936, pp.116-117: «...elle est une civilisation de l'Agôn (concours, sports, jeux...), entièrement commandée par l'esprit de compétition en vue de la victoire, de la reconnaissance de la valeur et de l'honneur (timé), de la gloire (kleos)».

(103) Ibid., p.440:«Ménage faisait venir «joute» de justus: justa pugna, combat régulier».

(104) II, p. 638.

(105) II, p.639.

(106) II, p.639.

(107) II, p.582. En quant a la formula «Mens sana in corpore sano», hem d'afegir que Crexells no la rebutjava, dient que «soc partidari de l'esport. En favor d'aquesta posició meva no puc donar altres raons que les corrents i vulgars. Fins i tot donaria com a darrer argument el mens sana in corpore sano...» ( II, pp. 215-216).

(108) II, pp. 582-583.

(109) II, pp.583-584.

(110) II, p. 574.

(111) II, p.575-576.

(112) Menschliches allzu menschliches, §.92: «in dem furchtbaren Gespräche der athenischen und melischen Gesandten».

(113) II , p. 639.

(114) II , pp. 574-575.

(115) en La revolta irlandesa, article reproduit en l'antologia El catalanisme i la Gran Guerra, Barcelona 1988.

(116) Don, intérêt et désintéressement, p.45: «Innombrables sont les occasions dans lesquelles on ne sait s'il convient d'admirer ou au contraire de s'indigner» (Paris, 1994).

(117) II, p. 640

(118) II, p. 640

(119) II, pp. 640-641

(120) II, p. 641.

(121) Del Contracte social, traducció de Miquel Costa, Barcelona 1993, pp. 136-137.

(122) Ibid., p.107.

(123) Ibid., p.135.

(124) I, pp. 531-533.

(125) I, p. 534.

(126) I, pp. 530-531

(127) I, p. 530.

(128) Caps-i-puntes, p.43.

(129) I, p. 527.

(130) I, p.529.

(131) Carta citada I, pp.37-38.

(132) I, p.33.

(133) II, p. 594.

(134) II, pp. 594-595.

(135) II, p. 666.

(136) II, p. 666.

(137) I, pp.131-132.

(138) I, p.140.

(139) I, p. 140.

(140) I, p.141.

(141) I, pp. 667-668.

(142) Critique de la raison utilitaire, Paris, 1988, p. 67: «S'il leur arrive de devenir plus productives, elles augmentent non leur production mais le temps qu'elles consacrent au loisir».

(143) Ibid., p.105: «rejetant l'origine de la loi dans l'extériorité radicale du lieu occupé par les ancêtres et par les dieux, elles rendent le pouvoir aussi inappropriable et inoccupable, ou plus, que dans les démocraties modernes. Le chef sauvage n'est pas censé en savoir plus long que ceux auprès de qui il joue au chef sans avoir sur eux aucun pouvoir de contrainte».

(144) I, p.142.

(145) I, pp.103-104.

(146) I, p.104.

(147) I, p.166.

(148) I, p. 106.

(149) I, pp.105-106.

(150) I, pp.106-107.

(151) «Il ne s'agit pas de ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat entier, se représente à un moment comme le but. Il s'agit de ce qu'est le prolétariat et de ce que, conformément à son être, il sera historiquement contraint de faire» (citat per Castoriadis, en L'expérience du mouvement ouvrier, Paris, 1974, p.16.

(152) Ibid., p.18: «A quel moment peut-on encore parler d'autonomie ou de créativité du prolétariat? A aucun, et moins que jamais au moment de la révolution puisque c'est précisément pour lui le moment de la nécessité ontologique absolue, où l'histoire le contraint enfin de manifester son être - que jusqu'alors il ignore, mais que d'autres connaissent pour lui».

(153) I, p.132.

(154) i (155) Russell: «The only reason for believing that the laws of motion will remain in operation is that they have operated hitherto, so far as our knowledge of the past enables us to judge» (Problems of philosophy, pp. 61-62).

(156) II, p.666.

(157) I, p.151.

(158) I, p.153.

(159) I, p.106.

(160) I, p.107.

(161) I, p.170.

(162) I, pp.159-160.

(163) Nacionalisme i federalisme, Barcelona 1982, pp.76-77.

(164) article del 28 d'agost de 1923, citat per Montserrat Baràs, Acció Catalana 1922-1936, p.14. Caldria també recordar que, durant tota aquesta època, era el sector d'esquerra del catalanisme polític que s'anomenava nacionalista, en el sentit de partidari del principi de les nacionalitats, mentre el catalanisme de dretes s'anomenava regionalista, encara que hagi mantingut l'ambició d'encapçalar el regeneracionisme «per Catalunya i l'Espanya gran», així com ho havia formulat un manifest electoral de la Lliga Regionalista.

(165) Nacionalisme i federalisme, p. 31.

(166) I, p.117.

(167) Eneide, VI, versos 851-853.

(168) II, p. 572.

(169) II, p. 579.

(170) II, pp. 576-577.

(171) Glosa del 10 de juliol de 1909.

(172) I, p.514.

(173) I, pp.514-515.

(174) I, pp. 513-514.

(175) I, p.513.

(176) I, p.118.

(177) I, p.117.

(178) I, p.361.

(179) I, p.74.

(180) I, pp.498-500.

(181) Oeuvres capitales, tome I, Paris 1954, p.171.

(182) Ibid., p. 205.

(183) I, p. 500.

(184) I, p. 485.

(185) I, p. 484.

(186) I, p. 562.

(187) I, p.528.

(188) Revista de Catalunya, juliol-agost de 1996, p.11.

(189) I, p.175.

(190) I, p.184.

(191) I, pp.184-187.

(192) I, pp.181-182.

(193) I, p.187.

(194) I, pp.187-188.

(195) I, p.188.

(196) I, p.139.

(197) I, p.139.

(198) II, p. 659.

 

Al marge d'una reflexió sobre l'ètica esportiva, val la pena de recordar que Salvat-Papasseit dedicava «Al nostre referee Joan Crexells» la seva resposta a una enquesta sobre «los ejercicios del sport», a La Publicidad del 23/V/1921 (Mots-propis i altres proses, Barcelona 1975, p.69) També es pot llegir, en una edició facsimil de Poemes en ondes hertzianes, la dedicació

 

«al amic En Joan Crexells i Vallhonrat,

teoritzador del punt dolç, homenatge d'En J.Salvat-Papasseit, 3-2-920»

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5 février 2021 5 05 /02 /février /2021 16:05

Democràcia i progressisme

Ara, com s'ha d'entendre aquesta afirmació, que les doctrines dels sofistes eren «plenes del que anomenem modernitat»? Ja sabem que Crexells veia una relació entre el pragmatisme de Schiller i la tesi de Protàgores, «l'home és la mesura de les coses». I en aquest cas, no és cert que la modernitat de la tesi s'hagi de valorar positivament... Recordar que, fa molt de temps, ja s'havia inventat coses que la modernitat s'imagina haver descobert, no diu res a favor d'aquestes invencions. El que hem de dir, si trobem que aquestes invencions son «plenes del que anomenem modernitat», és que no cal confondre la modernitat i l'època moderna: és possible que «els avançats de fa 2500 anys» siguin més avançats que «els avançats del segle XX».

Es així que Crexells, que ens pot semblar molt «modern», i «progressista», ja que és un defensor de la democràcia i dels drets humans, és també un defensor del classicisme i rebutja l'historicisme progressista a l'estil de Hegel o de Marx. Sap ben bé que és paradoxal: «Es un fet que els homes anomenats d'esquerra, son en gran part enemics dels clàssics. I a l'invers, els homes de dreta son gairebé tots partidaris dels clàssics. Un hom ha arribat a pensar que una educació clàssica dona naturalment un temperament reaccionari i una educació realista moderna un temperament avançat...(127)». Una opinió que es podia justificar amb els exemples de Charles Maurras i d'Eugeni d'Ors: el noucentisme orsià, versió catalana del maurrassisme, predicava el classicisme, i representava el corrent més dretà del catalanisme: «...donat l'estat d'esperit que la política ens obliga a tenir, escrivia aleshores Josep Pla, el classicisme és, en certa manera, l'abandonisme, i això, en tant que és una manifestació de l'ordre (...). La immensa majoria de joves es pensen que han passat per una joventut veritable, i no han conegut la joventut. S'han cregut menjar llebre i han menjat gat. La retòrica de la joventut, la fullaraca de la joventut, els ha privats d'arribar a la joventut. això es guareix només amb una forta cura de sensacions», - és a dir, rebutjant l'exemple i la disciplina dels clàssics (128).

Crexells escriu, en contra, «que els nostres noucentistes no hi han arribat als clàssics; s'han quedat a La Ben Plantada. Per un estat de coses absurd, fins ara l'home que ha predicat el classicisme ha obtingut més apassionats del classicisme que dels clàssics. Les seves prèdiques han obtingut més predicadors que no han estat fidels, que fidels que no hagin estat predicadors...(129)». Afegeix que, si hom vol conèixer els clàssics, no cal llegir els predicadors del classicisme, sinó els mateixos clàssics: «no prendre gat per llebre, ni Maurras per Tucidídes (130)».

Hem de tenir en compte, però, l'existència d'una certa tensió entre les conviccions democràtiques de Crexells, i una sensibilitat aristocràtica, que s'expressa en la seva estètica, i també, s'ha de dir, en aquesta famosa carta a Carles Riba, - famosa perquè Josep Pla la comenta, amb una certa mala fe, però encertadament, ja que ha sabut trobar el punt flac del nostre autor.

En aquesta carta, Crexells magnifica «l'home que ha estat alumne d'Oxford», i afegeix: «He tingut ocasió de conèixer-ne dos o tres i realment son la gent més fina i distingida que us trobeu anant pel món. Realment, la minoria que mana a Anglaterra és la més selecta del mon. Un tipus com el professor Pearson, per exemple, és una cosa divina. El professor Pearson és matemàtic i biòleg eminent. Però en entrar al seu despatx la primera cosa que es veu és un gravat de Miquel Angel. I en sortir us adoneu que hi ha els instruments del golf en un racò. I treballa tot el dia com un desesperat en coses de matemàtiques i d'estadística, però això no li fa perdre l'humor ni l'eixarreeix gens ni mica. Per mi tot això ho dona Oxford. Es el concepte esportiu de l'educació i de la ciència. Es estudiar anys i anys el grec i les matemàtiques sense pensar que hagin de servir per a res, només pel gust de conèixer-ho. Es el concepte grec de l'educació i el contrari del concepte català, que quan un nano té set anys ja es diu al mestre que el faci estudiar de comptes que és el que el dia de demà li ha de servir. Tot això és el que fa gran Anglaterra: una minoria selectíssima i comparativament vasta i una majoria amb la intel-ligència justa per comprendre les ordres que se'ls donen. Que també és el contrari de Catalunya (131)».

Com que, en la mateixa carta, Crexells havia escrit: «Londres és una enredada», - un judici que ens pot deixar, com ho diu Josep Pla, «en un estat de perplexitat, d'astorament, de desesma», podem trobar encara més estrany el que diu de «l'home que ha estat alumne d'Oxford». Es podria creure que parla de dues societats diferents, com s'ha pogut fer, molt més tard, parlant de la U.R.S.S.: - una gran potència militar, la primera que s'hagi llançat a la conquesta de l'espai, amb el seu Sputnik de 1957, i al mateix temps un país, l'economia del qual s'ha sempre mantingut al nivell de països del Tercer Mon, la societat híbrida que descrivia Emmanuel Todd en La chute finale (Paris, 1976)... Ara, és clar, no és tan evident que una descripció similar es pugui aplicar a l'Anglaterra de 1924, i aquest és l'argument de Pla contra la «teoria d'Anglaterra», és així que l'anomena ell, que es pot trobar en la carta de Crexells: «Aquest professor que Crexells descriu amb tanta vivacitat serà un producte d'Oxford o de Cambridge, del concepte esportiu de l'educació o del que vulgueu. El que dic, simplement, és que aquest retrat, quan hom el relaciona amb el judici de l'enredada, és d'una puerilitat sorprenent. Com és possible que d'un país que és una enredada en pugui sortir un home semblant? D'on ha tret Crexells que es pugui produir una minoria selecta sense el suport d'una massa? Com no veié que en un país tot és interdependent i tot està lligat? Es que potser creia que a Anglaterra hi ha una màquina per a fer homes de primera i una altra màquina per a fer homes vulgars i adotzenats? (...) Anglaterra és un país construït, és un país lligat per una interdependència política, cultural, social i humana. Si no fos així, ja no seria Anglaterra, seria una altra cosa, seria, si voleu, una cosa com Espanya. Com s'explica que Crexells no veiés aquestes coses tan elementals? La seva teoria d'Anglaterra com una enredada, però en possessió de la minoria més selecta del mon, és una delirant bufonada (132)».

Abans de discutir la qüestió que aixeca aquí Josep Pla, hem de preguntar-nos si, realment, Crexells no sabia «aquestes coses tan elementals» que ens recorda aquesta lliçó improvisada d'iniciació a la sociologia, i si, de no haver-les vistes, havia elaborat una teoria d'Anglaterra que seria «una delirant bufonada». Podem trobar una primera resposta en un article que Crexells va publicar pocs mesos després d'aquesta malaurada carta a Carles Riba:

«Els anglesos diuen que la batalla de Waterloo fou guanyada en els camps de cricket. I Chesterton, en un article admirable, afegeix: en els camps de cricket on es jugava malament. La batalla de Waterloo fou guanyada pel valor, l'energia, la serenitat i la tenacitat de la massa de l'exèrcit anglès, qualitats tal vegada donades per l'esport. En aquesta massa potser hi figurava alguna estrella del cricket, però la gran majoria era gent que, com a jugadors de cricket, devien ésser molt mediocres. Socialment, nacionalment parlant, el que ens importa de l'esport no son els pocs que juguen meravellosament, sinó els molts que juguen malament (133)». I tot seguit Crexells compara l'esperit esportiu dels anglesos amb l'esperit esportiu català, desitjant una cosa que no sembla interessar Josep Pla: que els Catalans aprenguin la lliçó que Anglaterra els dona: «Anglaterra, en la darrera Olimpiada, féu un paper bastant deslluït. I no gairebé més lluït l'ha fet en les altres Olimpiades. Però sembla que el nombre d'anglesos qualificats per les finals de cada prova en les quatre darreres Olimpiades en conjunt, és superior als classificats de tota la resta de les nacions, en conjunt. Jo m'estimaria més per Catalunya això que un primer lloc a cada esport, i res més.

«Es pot dir, és clar, el que diuen alguns anglesos: en definitiva, per obtenir un recordman, cal tenir 500 homes de primera qualitat i 5000 sportsmen de qualitat mediocre. Així, doncs, tenir una estrella implica i suposa tenir un gran nombre d'homes d'esport mediocres. Això potser és cert a Anglaterra. Aquí no. Aquí les estrelles surten com els bolets, i el resultat de la seva aparició és crear 5000 badocs en lloc de 5000 sportsmen.(...) La utilitat social o nacional d'un esport està en proporció de les persones que el juguen, no de les persones que el juguen a la perfecció (134)».

Es a dir que Crexells ho sabia molt bé, que no es pot «produir una minoria selecta sense el suport d'una massa», i que un poble no pot tenir «la minoria més selecta del mon» si no és, ell mateix, un poble aristocràtic. Un poble que es considera ell mateix, a nivell planetari, com a minoria selecta, i no creu que els altres pobles siguin tots capaços de viure amb les mateixes llibertats: «Els anglesos mateixos, la política dels quals, almenys exteriorment, ha estat més guiada per l'aplicació i generalització dels principis democràtics, diuen ara que potser cal confessar que no a tots els pobles és possible d'aplicar aquests principis.(...) Quan els anglesos parlen de reconèixer lleialment que hi ha pobles a les característiques dels quals no respon la idea democràtica, parlen d'aquests pobles amb una punta de menyspreu. I és que, de fet, el problema democràtic és un problema de dignitat. I reconèixer que un poble no té condicions naturals per a mantenir les institucions democràtiques, és tant com dir que aquest poble és un poble d'homes de segona classe (35)». L'Anglès és freeborn, i comparteix l'opinió d'Aristòtil, que hi han pobles massa bàrbars, que no poden gaudir de la mateixa llibertat.

Es podria pensar que la consciència democràtica dels Anglesos és només l'altra cara del seu inperialisme, i que és això que els porta a pensar que l'ideal democràtic «no és un valor absolut al qual calgui elevar tots els pobles sotmesos a la dominació britànica, ans s'ha d'admetre que hi ha pobles a les característiques dels quals repugna aquesta elevació...(136)», sobretot si ens fixem en aquesta coincidència providencial, que es tracti precisament de pobles sotmesos a la dominació britànica. Ja ho hem vist, Crexells no pretén amagar les ambiguitats de «l'Anglès polític»... No n'hem acabat, però, amb la qüestió que aixeca Josep Pla, si es pot creure «que a Anglaterra hi ha una màquina per a fer homes de primera i una altra màquina per a fer homes vulgars i adotzenats». Perquè aquesta suposició, que Pla considera absurda, no era absent del pensament anglès en aquesta època, en la qual figurava un dels perills que podia portar el progrés de les ciències, i que s'havia de concretar en la novel-la d'Aldous Huxley, The brave new world. Però tots els elements del llibre de Huxley es podien trobar, ja el 1924, en un debat que comenta Crexells, entre «J.B.S. Haldane, lector de Bioquímica a la Universitat de Cambridge, i el famós matemàtic i filòsof Bertrand Russell (137)».

En aquesta discussió, es pot comprovar que no hi ha cap correlació necessària entre democràcia i progressisme, i que els progressos de la ciència no porten cap progrés automàtic en la vida social. Quan Haldane diu que «el futur és de les ciències biologiques, de llurs aplicacions pràctiques», i que, per exemple, «l'ectogenesi o generació fora de la mare (...) facilitarà una selecció més rigorosa», el seu progressisme entra en el catàleg de L'eugènica i altres mals, com deia el títol d'una obra de Chesterton... Abans de dir que «els homes i dones triats per a la reproducció seran molt superiors al tipus mitjà», cal preguntar-se «Qui farà la selecció? Quins principis guiaran el qui farà la selecció? Quins mitjans tindrà per aplicar-los? (133)».

«Bertrand Russell diu amb molta raó a Mr Haldane que no serà l'home de ciència qui farà la selecció, sinó un dependent dels governants, els quals es guiaran per principis que no seran els de millorament de la raça. A la casta governant li convé que la massa sigui dòcil als seus manaments. Per aconseguir això cal que sigui poc intel-ligent. L'ideal d'un governant deu ésser que els governats tinguin la intel-ligència justa per comprendre i executar les ordres que els donen (139)». Formula que reprodueix una frase de la carta a Carles Riba, però al cap de sis mesos ja no té el mateix sentit: ara Crexells no diu que és això que fa Anglaterra gran, ara diu: «...no s'oblidi que aquest ideal es la definició de l'esclau, segons Aristòtil (40)». En aquest cas, l'esclau no és altra cosa que l'epsilon del llibre de Huxley, i l'esclavitud representa la condició natural, la única condició en la qual pugui viure i ser feliç l'epsilon, ésser produit i programat per aquesta existència.

I encara que no existeixi, a l'Anglaterra del 1924, cap «màquina per a fer homes vulgars i adotzenats», no hi ha dubte que una oligarquia, fins i tot una oligarquia liberal, procura «que la massa sigui dòcil als seus manaments». No es pot creure, doncs,«que l'evolució natural de les coses porta necessàriament al Govern democràtic»: «Governar democràticament és molt més difícil que governar tirànicament, en tots els temps i tots els estats de cultura. Posem per exemple: en una tirania, les finances no poden ser més fàcils d'arranjar. Les despeses de l'Estat son imposades exclusivament a la massa dels governats, i aquestes despeses son exclusivament a benefici dels governants. Es una injustícia pràctica. Però en un Estat democràticament governat, (...) la majoria ha d'acordar carregar-se els impostos ella mateixa, i d'altra banda carregar-se'ls en una proporció igual a les minories d'oposició. Es comprèn perfectament que només pobles d'una forta educació democràtica i d'una forta competència del problema, siguin capaços d'actuar, en materia fiscal, segons els principis democràtics. En tots els temps i en tots els estats de cultura la temptació es presentarà de davallar cap a una forma de govern més injusta, però més simple. Adhuc en la democràcia més segura del mon cal que hi hagin homes que es dediquin constantment a la defensa del règim democràtic...(141)».

Cal defensar la democràcia, perquè no és, de cap manera, l'organització natural de les societats humanes, i menys encara el resultat necessari d'una evolució històrica, que portaria els homes cap al reconèixement mutu, segons l'esquema d'una «lògica de la Història», que comparteixen totes les varietats del progressisme: hegelianisme, marxisme, positivisme, utilitarisme, etc.

Esquema retrospectiu, que explica i justifica post festum els canvis que s'han produit en la Historia recent, com si fossin precisament els canvis racionals i necessaris que havien de produir-se. La substitució de les antigues societats agràries per la societat industrial, conseqüència del progrés tècnic, s'hauria acompanyat d'una evolució cap a la igualtat de les condicions, i per tant cap a l'organitzacio democràtica de la societat... D'altra banda, els mateixos progressos tècnics i científics, que haurien originat aquells trasbalsos en la vida social, haurien repercutit també en la manera de pensar: les creences religioses i les ideologies no es podrien més perpetuar sense alteracions, quan la potència de la tècnica manifesta a tothom, fins i tot als més ignorants, la superioritat del pensament científic sobre les representacions del mon i de la vida humana que tenien els homes dels segles passats...

 

L'Agòn democràtic : contra la Necessitat

La necessitat del progrés és el mite de la modernitat, el mite que substitueix els mites arcaics sobre la creació del mon, o el naixement dels déus. Igual que els mites àntics, aquest mite organitza alguns elements de l'experiència humana en una forma relativament coherent, que li dona una certa credibilitat i acceptació, malgrat l'existència d'altres elements, que no encaixen gaire amb l'esquema del progrés, i que, per tant, el mite no vol conèixer. I la gent que adhereix al mite, quan ja no es pot negar la realitat de fets que li son contraris, fa com si fossin fets incomprensibles, sense consequència i sense significació.

Es així, per exemple, que els progressistes no volen veure les amenaces que l'organitzacio moderna, industrial, de les societats que es declaren democràtiques, fa pesar sobre la llibertat i el funcionament democràtic de les mateixes societats. I és que veuen la democràcia com el producte del desenvolupament econòmic, i de la generalització del mercat capitalista, i és per això que han saludat cada pas que ha pogut fer el totalitarisme comunista (rus, o xinès) cap a l'economia de mercat, com si fos un pas cap a la democratització del règim. I no saben explicar com és possible que la Xina de Deng Xiaoping, precisament quan s'obria a l'economia de mercat, aixafés una revolta democràtica dels estudiants... I no parlem de l'evolució de la Rússia postcomunista! Els mateixos progressistes no accepten la idea que Grècia, Roma, o qualsevol altra societat precapitalista, hagi pogut conèixer una autèntica democràcia: - els Grecs i els Romans, perquè tenien esclaus; - i les societats arcaïques, perquè vivien en condicions de precarietat, que forçaven els seus membres a dedicar totes les seves forces al famós struggle for life. Contra aquesta representació de la Historia, i de la prehistòria, podem recordar, entre altres coses, que quan Tocqueville estudiava «La democratie en Amérique», l'esclavitud existia encara, i que no es pot negar l'existència d'una democràcia atenesa sense negar, a fortiori, el caràcter democràtic d'aquesta democràcia del segle XIX. D'altra banda, els estudis antropològics de Marshall Sahlins i de Pierre Clastres ens ensenyen que, en les societats primitives, no cal més de quatre hores diàries de treball per assegurar la supervivència. «Si arriben a tenir més productivitat, comenta Alain Caillé, no eixamplen mai la seva producció, sinó el temps que dediquen a l'esbarjo (42)». I les mateixes societats, «desplaçant l'orígen de la llei cap a l'exterioritat radical del lloc reservat als avantpassats i als déus», no deixen als seus cabdills cap possibilitat de monopolitzar el poder: «El cabdill salvatge no és suposat saber-ne més que aquells davant dels quals fa de cabdill sense poder aplicar-los cap mena de coercició (143)».

Crexells tampoc no adheria a la superstició del progrés, la que Wittgenstein anomena «der dumme Aberglaube unserer Zeit», ni als arguments tecnico-economicistes adduits pels evolucionistes i els marxistes: «...perquè hi ha d'haver en general una relació entre els progressos tècnics i el curs de les idees? Ja sé que els marxistes creuen que existeix una estretissima relació. Els meus compliments a aquells que estan convençuts que el producte més fi de les darreres etapes del progrés industrial és l'organitzacio comunista, que també resulta ésser el producte més fi de les meravelloses produccions tècniques de l'Edat de Pedra. Raonant així es va a tot arreu. Adhuc als llimbs (144)».

Es fàcil d'imaginar el que hauria pogut respondre un defensor del marxisme: hauria dit que no cal identificar el comunisme primitiu, expressió immediata i natural d'una societat on la mera supervivència era mantinguda per la collita, la caça i la pesca, i el comunisme que s'ha d'establir en la societat industrial, com a única solució dels problemes creats per l'organització industrial. Però aquesta resposta, fins i tot si acceptessim la ficció d'una societat primitiva dominada per l'escassetat i la penúria, implicaria una primera renuncia al caràcter de necessitat que els marxistes atribueixen a l'establiment del comunisme modern, el comunisme industrial. Ja que l'establiment del comunisme no podria ser la consequència inevitable del desenvolupament de les forces productives, sinó el resultat d'una iniciativa voluntària dels homes, per a resoldre de manera humanament acceptable els problemes de la societat moderna i evitar la imposició forçada de solucions, que la «peresa mental» ens fa anomenar retrogrades o reaccionàries, encara que no hi hagi res, en la realitat de la societat moderna, que ens pugui assegurar que s 'hagin fet impossibles. Les dictadures totalitàries del segle XX han donat la prova que una política «reaccionària, per exemple la del feixisme, és compatible amb les tècniques modernes i la racionalitat científica, i pot resoldre els problemes de la societat industrial, encara que les solucions no siguin precisament les que pot somiar l'intel-lectual «avançat»... En canvi, si el mot «reaccionari» defineix la posició d'aquells que lluiten «contra el corrent», i no segueixen pas la tendència dominant d'una època, haurem d'admetre la paradoxa, que defensar la democràcia és una posició reaccionària, i és aquesta paradoxa que presenta Crexells en «Una defensa de la democràcia»:

«Cert que avui, des del Junker fins a l'home d'Action Française, la creuada reaccionària és feta en nom de la tècnica contra la democràcia. Però això és només un error. La tècnica és sempre revolucionària; el sentit conservador està representat per la democràcia (145)». Es a dir que, en realitat, els enemics de la democràcia son revolucionaris, i per això diuen que «la democràcia és l'art de retardar l'adopció de solucions. Quan calen resolucions ràpides i enèrgiques - en la guerra, per exemple -, el millor és substreure-les a l'acció dels Parlaments...(146)». I no és cap casualitat si la república romana havia inventat la dictadura com a resposta excepcional a una situació excepcional, en temps de guerra o de crisi social. «Però el fet d'adoptar per a moments anormals una forma de govern determinada, diu Crexells en un altre article, no significa que calgui adoptar la mateixa forma per a moments normals. Exactament com el fet que sigui molt útil posar-se un salvavides en el moment d'un naufragi no prova que calgui dur posat el salvavides per anar a dar el tomb habitual pel passeig de Gràcia...(147)». Actuar normalment en una situació normal, és una posició conservadora, la posició del demòcrata, perquè «la democràcia és un control i un fre per a la realització de les idees noves. L'organitzacio democràtica tendeix a conservar l'estat de coses actual, a tornar lenta almenys l'evolució cap a coses noves» (48). I aquesta prudència conservadora es justifica perquè no es pot equiparar una proposició de política a una proposició matemàtica: «Com és possible, es diu, que es resolgui democràticament quant fan dos i dos?» ...Dient això, l'antidemòcrata oblida «que al demòcrata més radical no se li ha acudit mai demanar una votació per una proposició del tipus de l'esmentada. Les votacions son demanades on diverses opinions son possibles i on les respostes dels tècnics no tenen el valor de proposicions matemàtiques (149)". I és prou evident que aquesta procedura democràtica i conservadora encaixa més amb l'esperit de la ciència que la pretensió del tecnòcrata que és segur de conèixer les solucions. Poc importa si el tecnòcrata és un deixeble de Marx, de Maurras o de Saint-Simon, la seva nocivitat és segura: «Imagineu que un dia el tècnic Karl Marx, com a tècnic el més il-lustre del seu temps, hagués estat encarregat de modificar l'organització de la societat segons els seus principis: el dany hauria estat irreparable. Per sort, la reforma no podia ésser realitzada sense que les masses hi estiguessin d'acord (...) i en aquest temps es feia possible l'aparició d'altres tècnics que rebutgessin l'obra de Marx amb una autoritat paral-lela a la seva...(150)».

Imaginem, encara un cop, el que podria respondre un marxista. Explicaria, probablement, que la ciència marxista no és cap tecnòlogia del poder, sinó una analisi de les contradiccions del sistema capitalista, analisi que li permet de preveure la inevitable destrucció del sistema, per obra del moviment proletari, l'actuació del qual és necessàriament determinada per la situació dels proletaris en una societat que necessita el seu treball, mentre els explota i els exclou: «No es tracta pas, deia Marx, del que l'un o l'altre proletari, o fins i tot el proletariat sencer, es representa a un moment com el fi. Es tracta del que és el proletariat i del que, en conformitat al seu ésser, es veurà historicament forçat de fer (151)». Quina paradoxa: Marx diu que la revolució ha de ser l'alliberament dels treballadors per la lluita autònoma dels treballadors ells mateixos, i diu també que aquest alliberament s'ha de realitzar, inevitablement, a consequència de la situació objectiva dels treballadors, independentment dels objectius que ells volen realitzar conscientment. Cal demanar, amb Castoriadis: «A quin moment es pot encara parlar d'autonomia o de creativitat del proletariat? A cap moment, i menys que mai al moment de la revolució, ja que és precisament per ell el moment de la necessitat ontològica absoluta, en el que la historia el força per fi a manifestar el seu ésser, que fins ara desconeix, però que uns altres coneixen per ell...(152)». Hi ha una avantguarda que pensa per la classe obrera, amb aquesta ambiguitat que pensa en el seu interès, i també al seu lloc: l'avantguarda sap el que la classe ha de fer, i li dona les consignes adequades. Això explica bé prou que el marxisme s'hagi tan fàcilment convertit, com ho explica Castoriadis, en «la ideologia orgànica de la burocràcia» - poc importa, en aquest cas, la distinció que es pot fer entre el pensament de Marx i la ideologia marxista.

La critica del marxisme, és clar, no té el mateix sentit quan és feta en nom de l'autonomia de la classe revolucionària, i quan expressa la prudència conservadora d'un demòcrata liberal. En ambdos casos, però, es rebutja el mite de la necessitat històrica, i es qüestiona la seva compatibilitat amb qualsevol concepció de la llibertat humana i d'un projecte d'alliberament.

Podem afegir que la necessitat és un concepte ambigu, que no té el mateix sentit quan parlem de necessitat lògica, de necessitat física, de necessitat històrica, i quan diem que els homes necessiten tal o tal cosa... La necessitat lògica, que sembla ser una necessitat absoluta, és només una necessitat condicional: si acceptem les definicions matemàtiques del nombre, de la suma, de l'angle, del triangle, i de l'angle recte, «hem de concedir que els tres angles d'un triangle valen dos rectes, que ve a ésser com si exultessim d'haver trobat que un metre té cent centimetres, després d'haver definit el centimetre com la centesima part del metre (153)».Es amb la mateixa necessitat que, jugant als escacs, respectem les regles que defineixen el moviment de cada peça, ja que hem acceptat les regles del joc, i aquesta necessitat no és res més que l'acceptació de les conseqüències d'una lliure decisió. No és aquesta necessitat que es contraria a la llibertat dels homes, i podem recordar que, en el llibre d'Orwell, és perquè Winston Smith pensa que el Partit no pot res contra la veritat de «2+2=4», que troba en aquesta certesa la força que li cal per lluitar contra el poder totalitari del Partit. Es molt diferent, però, el cas de la necessitat física, que ens aixafa perquè és la necessitat que ens imposa una força, i que el filòsof, en canvi, considera com a la més incerta. «La única raó, declara Bertrand Russell, per a creure que les lleis del moviment han de conservar la seva vigència, és que l'han conservada fins ara, en la mesura que el nostre conèixement del passat ens permet de jutjar-ne (154)». Això fa que , si podem creure que el sol sortirà demà , aquesta creença tan arrelada no és pas més segura que la confiança amb la qual el pollastre espera el masover que li porta el seu menjar de cada dia, fins aquest altre dia on l'escanya, «ensenyant que opinions més sofísticades sobre la uniformitat de la natura haurien fet més servei al pollastre (showing that more refined views as to the uniformity of nature would have been useful to the chicken) (155)». I és clar que la pretesa «necessitat històrica» no és res més que una extrapolació a partir de tendències observades en el passat, i pressuposa, com la necessitat física, una creença en la uniformitat de la natura, i més encara, en la uniformitat de la «natura humana».

L'Agòn democràtic, en canvi, expressa una altre «necessitat», expressa el fet que, sense llibertat, els homes no poden viure plenament una vida plenament humana. I és perquè «el problema democràtic és un problema de dignitat (156)», que aquest Agòn manifesta la dignitat humana en la forma del rebuig de la submissió, com ho explica Jean-Luc Boilleau en el seu llibre, Conflit et lien social, encara que, al nostre parer, el rebuig de la submissió, rebuig del Kratos i de 1'Ananke, no exigeixi, a més, el rebuig del Logos.

 

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5 février 2021 5 05 /02 /février /2021 16:00

La cultura grega, que té tanta importància en el pensament de Crexells, és una cultura del logos: la paraula, l'enraonar, el raonament. Parlant de Pompeu Fabra, Crexells subratlla «en totes les converses filològiques aquest gust per raonar les afirmacions: les afirmacions pròpies i les contràries. El mot filòleg vol dir també, en grec, amic dels raonaments. Pompeu Fabra és un filòleg en oposició als misòlegs, als enemics dels raonaments, als que resolen les coses en termes de passió i d'arbitrarietat... (101)». La mateixa cultura grega, però, és també una cultura de l'Agòn: la lluita, la rivalitat i la competició, - com ho explica Marcel Conche en la seva edició comentada dels Fragments Heràclit: «és una civilització de l'Agòn (concursos, esports, jocs...) en la qual mana l'esperit de competició amb vista a la victoria, al reconeixement del valor i de l'honor (timé), de la gloria (kleos)...(102)»

No es tracta pas d'una lluita salvatge, sinó de la regulació institucional i ritualitzada d'una emulació que accepta i valora la societat. Anem més lluny, aquesta emulació és un dels fonaments de la sociabilitat grega. No és la rivalitat suicida dels germans enemics, Eteocles i Polínices, és una justa, un torneig regulat per tota una ètica. Marcel Conche, traduint el grec Eris pel francès «joute», recorda que «Ménage feia venir joute de justus: justa pugna, combat régulier (103)».

Crexells, en un article dedicat a «l'element moral en l'esport», critica «aquells que creuen que tots els problemes de l'esport (...) son problemes de musculatura», i els recorda que:

«En el Protàgoras de Plató, Sòcrates fa burla d'aquells que volen imitar els lacedemonis en llurs exercicis físics sense fixar-se en l'aspecte espiritual de llur educació, i per imitar-los -diu- es fan malbé les orelles a cops de puny i s'emboliquen les mans amb tires de cuiro i porten mantells curts, com si fos per això que els lacedemonis son els mes forts entre els grecs.

«Però, Plató, que era un sportsman i àdhuc segons les notícies que ens han pervingut, havia guanyat algun premi de lluita en uns jocs de l'Istme, no menyspreava els exercicis físics sinó l'exclusivitat de l'element físic per a molts en l'esport(104)».

Ara, el comentari de Crexells fa comprendre que «l'element moral en l'esport» no es pot limitar a una ètica de les competicions esportives, sinó que, - tant a la Grècia antiga com a l'Anglaterra moderna - , hi ha una projecció de l'ètica esportiva a tots els aspectes de la vida social: «Els anglesos, que son en els temps moderns els homes en els quals l'esport es dona amb més puresa i per als quals constitueix un mitjà d'educació més fonamental, transporten a totes les esferes de la vida mots vinguts de l'esport. Fair play o to give a chance a un enemic son mots que s'usen en totes les activitats...(105)».

L'ètica del fair play, que nega el dret d'atacar «quan el contrari no té absolutament cap probabilitat de sortir vencedor», «es segueix en totes les lluites de tots els ordres» :

«Aquests principis son els que es tracta d'inculcar als joves per mitjà de l'esport, perquè després els apliquin a tots els ordres de la vida. Un jove anglès dependent de comerç, poso per exemple, entre els quinze i els vint-i-cinc anys, es baralla unes tres vegades a la setmana. Qualsevol incident que sorgeixi amb un company, és liquidat a cops de puny. A l'hora d'esmorzar i de dinar, generalment davant dels companys, surten to fight it out. I és admirable de veure que quan en el ple de la baralla un dels dos cau a terra, mai no se li acudirà a l'altre d'atacar fins que l'adversari s'hagi posat dret. I un cop acabada la baralla els dos contendents donen per oblidada la causa de la molèstia i continuen amb la més gran amistat (106)».

Aquesta codificació de l'antagonisme, que no pretèn ignorar la violència, i no condemna la rivalitat, es retroba, en la cultura grega, en situacions on l'afrontament no és físic, sinó intel-lectual. Es això que trobem en l'obra de Plató, per exemple en la discussió entre Sòcrates i Protàgoras. Abans de discutir, cal definir les regles del joc, perquè cal evitar que la lluita sigui massa desigual. Sòcrates, en començar, diu: «Protàgoras, soc un home oblidadís, i quan s'em fa un gran discurs, m'oblido de què parlàvem. Doncs bé, talment com, si jo fos dur d'orella, creuries necessari, si tenies interès a parlar amb mi, de parlar-me més fort que als altres, així mateix ara, ja que et trobes amb un home de poca memòria, concentra les teves respostes i fes-les més curtes, si és que t'he de seguir» (334 c-d). Condició que Protàgoras no vol concedir:

«Sòcrates, digué ell, ja he lluitat amb la paraula amb molts adversaris, i si en cada cas hagués fet el que ara tu vols, de discutir de la manera que vol el meu contrari, no fora més que un de tants, i l'anomenada de Protàgoras no s'hauria estès per tot Grècia» (335 a). Alcíbiades fa observar que Sòcrates, posant aquesta condició, ja ha reconegut la superioritat de Protàgoras en l'art dels discursos llargs, i que demana només la possibilitat de fer les seves proves en una altra forma de discussió: «Sòcrates, ací, confessa que no té l'art dels discursos llargs i cedeix davant de Protàgoras; però quant a dialogar i saber donar i prendre raons, em sorprendria que cedís davant de ningú. Si Protàgoras, doncs, es reconeix inferior a Sòcrates en el diàleg, Sòcrates en té prou; ara, si també en aquest art té pretensions, que parlin per preguntes i respostes , no estenent-se a cada pregunta en llargs discursos per esquivar l'argumentació i no donar raons, o allargant-se fins que la majoria dels presents oblidin de què es parlava...(336 b-d)».

I és que «lluitar amb la paraula», en l'esperit d'aquells que volen seguir la discussió entre Sòcrates i Protàgoras, és una mena de competició esportiva, en la qual s'ha d'actuar amb el mateix fair-play que en les competicions olímpiques, els Jocs de l'Istme o els Jocs Delfics. Els Grecs no han mai separat l'educació esportiva i l'educació de l'esperit. No repetien pas la formula avorrida: «Mens sana in corpore sano», perquè no feien pas un dosatge higiènic de gimnàstica i de filosofia, actuaven en el mateix esperit quan prenien cura del cos, i quan educaven la intel-ligència. Es l'esperit que Crexells retroba a Anglaterra, on «no hi ha incompatibilitat entre ésser un gentleman i un home de ciència. Però si n'hi hagués l'anglès triaria l'ésser un gentleman...(107)». I és l'esperit que hauria volgut trobar en les Universitats espanyoles:

«Com son diferents les coses a Espanya! A Espanya el professor posseeix la veritat (...) Aquesta veritat és explicada una hora cada dia. Aquesta explicació és recollida per l'alumne. Aquest recull és convenientment arxivat. Arxivat en el sentit literal de deixar-lo mort en un racò de la biblioteca, o arxivat en el sentit figurat de deixar-lo mort en un racò de la memòria. (Arxivar-lo en el sentit literal és, fet i fet, el més pràctic). De tot aquest seguit d'operacions se'n diu, a Espanya, Universitat. Afegint que totes les qüestions vives han d'ésser rigorosament excloses de la Universitat. Ni l'alumne ni el professor poden tenir opinions politiques. L'alumne ha d'ésser el perfecte receptor, el professor el perfecte repetidor. Si el professor perfecte és el gramòfon, l'alumne perfecte és el banc (...). La Universitat anglesa, en canvi, és un lloc de formació general. Al pati del mig de l'University College de Londres, hi ha un camp de tenis. Totes les parets de la Universitat son plenes d'anuncis de concursos esportius universitaris o de discussions politiques entre estudiants (...) es discuteix gairebé cada dia, en reunions molt concorregudes, de la utilitat de l'existència del partit liberal, de l'impost sobre el capital, de la conveniència de donar la llibertat a Irlanda. Sobre la llibertat d'esperit dels estudiants anglesos és convenient, potser, dir entre parèntesis, que en plena revolta irlandesa, abans del Home Rule, es discutí i s'aprovà a la Universitat d'Oxford una proposició on s'afirmava que el deure moral d'Anglaterra era donar la llibertat a Irlanda.

«Esports i Política: vet aquí dues grans ocupacions de l'estudiant anglés . A part d'això, estudia. L'anglès no creu que una cosa destorbi l'altre (...). Fins és una dita corrent entre anglesos intel-ligents que la batalla de Waterloo es guanyà als camps de cricket d'Eton. No sembla que hi hagi a Anglaterra, doncs, desavantatges individuals ni col-lectius en cultivar l'esport (108)».

Es podria pensar que Crexells idealitza el fair-play britànic, i l'excel-lència d'una educació moral que celebra amb complaença, per a donar més força als sarcasmes que reserva a la Universitat espanyola:

«...Però l'universitari espanyol somriu despectivament a tot això. La Universitat, dirà, no és per fer atletes ni polítics, sinó gent que sàpiguen Resistència de Materials. I, en efecte, d'atletes i de polítics no en surten, però de gent que sàpiguen Resistència de Materials, tampoc. No cal, tanmateix, menysprear massa aquest resultat. Representa atènyer el cinquanta per cent dels objectius proposats (109)».

No cal creure, per això, que l'anglofília de Crexells sigui incondicional i cega: ell mateix assenyala molt bé l'ambiguitat moral que es pot amagar darrera la invocació constant del fair-play: «En les relacions internacionals, en les baralles dels partits polítics, en les lluites socials i en la vida privada, la divisió dels actes en fair i unfair és fonamental. Fair és la noblesa en la lluita, la renuncia a l'abus de la força, el no valer-se de la traïció. Unfair el contrari. La cosa és, doncs, perfectament clara. Es unfair, per exemple, abusar de la força amb els vençuts, com França sembla que vol fer amb Alemanya. El gest elegant de l'anglés, en canvi, de donar la mà al caigut (després d'haver-li pres la marina i les colonies), és fair. Si depengués d'Anglaterra, àdhuc es perdonaria a Alemanya el deute de guerra (vull dir el deute a França, naturalment), àdhuc es permetria a Alemanya tenir un fort exèrcit. No, però, una forta marina de guerra, perquè això fora evidentment unfair respecte a Anglaterra (...) Es unfair, em deia una vegada una dama anglesa, que els conductors dels autobusos facin una vaga demanant augment de sou amb el futil pretext que es moren de gana, quan la Companyia demostra amb els seus balanços que només pot donar als seus accionistes un interès molt moderat. Es realment un abus de força intolerable (110)».

Finalment, s 'ha d'admetre que el fair-play és un luxe aristocràtic, que no es poden permetre ni les classes oprimides, ni els pobles sotmesos a una dominació imperial: «Això és, evidentment, Herrenmoral, moral de poble que no ha estat mai esclau, i que fa molt de temps que és senyor. La Sklavenmoral ens la dona el poeta polonès quan ens diu que «l'unica arma dels esclaus és la traïció». I ens la dona també Enric de Kleist, que escrivia, quan Alemanya era sotmesa a Napoleó, la seva «Batalla de Hermann», i que sentia més que ningú què és ésser esclau. Quan Hermann, per una traïció, s'apodera del general romà Sextimi, aquest, després d'abominar la traïció del cap germànic, li lliura l'espasa. I Hermann ordena:

 

«Que la seva sang sia ara mateix la primera

que begui la terra seca de la pàtria».

I quan Sextimi diu que ell és presoner, i que el sentiment del dret mana que se'l respecti, Hermann, en una explosió d'indignació que és expressada, tant com pels mots, pel ritme violent del vers, diu:

«Tu saps el que és el dret, miserable canalla,

i vas venir aquí, a Germània, sense afront, per oprimir-nos?

Preneu una maça de doble pes

i, a cops, mateu-lo».

 

«Això és lleig. Es moral d'esclau. Els pobles que mai no han estat esclaus, no la coneixen (111)».

Aquí, no s'ha d'entendre la «moral d'esclau» en el sentit que Nietzsche li hauria donat: l'esclau no disfressa pas la seva impotència en una imaginària superioritat ètica, afirma, tot al contrari, el seu dret d'ignorar les regles morals establertes pels amos imperialistes, i que serveixen per a perpetuar la seva dominació. Podem llegir l'obra de Kleist com una resposta a una obra clàssica que havia impressionat el mateix Nietzsche, el famós diàleg entre els Atenesos i els Melians, al final del llibre cinqué de la Historia de Tucidídes. Els Atenesos declaren que les regles de justícia només tenen un sentit entre competidors dels quals no es pot preveure qui és qui sortirà guanyador, perquè les seves forces son equivalents, i es poden equilibrar. Quan cap competidor no pot comptar amb una victoria fàcil, s'ha d'inventar un codi moral, unes regles de fair-play gràcies a les quals cada competidor sap que, si és vençut, no serà pas lliurat a la mercé del seu vencedor. Es a dir que no li caldrà experimentar la famosa dialèctica de l'amo i de l'esclau. En canvi, diuen els Atenesos, aquest codi no val entre la potència imperial d'Atenes i la petita ciutat de Melos: si els Melians no volen acceptar les condicions d'una submissió pacífica, pactada, hauran de lluitar fins a la destrucció completa, i la reducció dels supervivents a l'esclavitud. Nietzsche ha comentat, en Humà massa humà, «aquest terrible diàleg dels diputats atenesos i melians(112)»; però és la tragèdia de Kleist, per no dir res de l'obra del «poeta polonès» (Mickiewicz) que Crexells esmenta també, que replica encertadament al sofisme dels Atenesos: si el més fort, el vencedor i el conqueridor no accepta cap limitació al dret que la seva força li permet de reivindicar sobre els febles, els vençuts i els esclaus, aquells no poden lligar-se ells mateixos per cap regla moral, cap obligació de fair-play en la lluita, mentre no hagin guanyat, amb el seu alliberament, la dignitat que se'ls ha negat. Es a dir que, fet i fet, les regles del fair-play, en les quals es pot resumir el codi moral de l'Agòn, valen només en la mesura que tots els homes, i totes les comunitats humanes, a qui es pot reclamar que respectin les regles del joc, es trobin en condicions de «jogar», amb l'esperança i la possibilitat efectiva de vèncer.

Crexells ho assenyala, és l'ètica del fair-play que motiva «l'objecció que els anglesos presenten a les curses de braus. No, -o millor, no primordialment- , que el brau sofreixi un martiri constant, sinó que entri a la plaça exclusivament a morir sense tenir cap oportunitat per salvar-se (113)».

Si és així, els mateixos anglesos no poden, amb bona fe, invocar el fair-play contra la revolta irlandesa de 1916: «Evidentment, us dirà l'anglés, Anglaterra s'ha portat molt malament amb Irlanda. Durant el segle XIX, Irlanda ha sofert enormement sota la tirania anglesa. Però tanmateix no està gens bé que Casement acceptés diners alemanys per fer la guerra a Anglaterra el 1917...(114)». (Crexells fa un error de data, evocant les «Pasqües irlandeses» de 1916, que els Anglesos varen reprimir sense cap mena de fair-play... fins al punt que un catalanista «aliadofíl», Rovira i Virgili, després de condemnar la revolta irlandesa perquè feia el joc d'Alemanya, hagué de protestar contra la repressió (1l5), recordant que «son tantes les injustícies i les cruels vexacions infligides pels anglesos als irlandesos durant centuries que bé pot emplearse la indulgència davant els moviments sediciosos de la Irlanda»).

Nacionalista català, és a dir partidari del «principi de les nacionalitats», Crexells sentia la similitud entre la revolta irlandesa i les altres lluites d'alliberament nacional, i podia retrobar la mateixa afirmació d'un dret en situacions historiques diverses. Veurem més endavant que, dient de Hölderlin que és «el poeta nacional alemany», ho explica a partir de textos que pertanyen al llibre que Hölderlin va dedicar a la revolta dels Grecs sotmesos a l'imperi turc, Hiperion, revolta que ha de ser un exemple pel mateix poble alemany. I en el cas d'Irlanda, és prou clar que, al seu parer, els qui entenien realment el sentit del fair-play eren aquells estudiants d'Oxford que afirmaven «que el deure moral d'Anglaterra era donar la llibertat a Irlanda».

L'ètica del fair-play, per cert, es deixa interpretar de moltes maneres, divergents i contradictòries; en la pràctica esportiva, constata Alain Caillé, «innombrables son les ocasions en les que no es sap si el que convé és admirar o, tot al contrari, indignar-se(16)». Es l'inconvenient d'una ètica que no és formalista, i que «no consisteix en l'obediència a unes normes, sinó ultra això, en el recte instint de triar l'actitud noble en el moment no previst per les normes(1l7)». Això podria ser un intuicionisme moral, a l'estil de la Profession de foi du vicaire savoyard, a on la veu de la consciència,«instinct divin, immortelle et céleste voix», fa saber, a cada moment, i sense referir-se a la lletra de qualsevol llei, quina és la conducta moral: «l'esportivitat s'ha d'observar principalment en el punt on no hi ha regles i no allà on les regles prevenen la conducta a seguir...(118)»:

«Aquesta mena de sentit esportiu serveix de complement a la generalitat de les màximes morals i legals. Quan diem que una acció és noble o que una acció és lletja, sovint ens costaria de dir sota quina condemna general cau, o quin article de codi vulnera. Però, - continua Crexells - les persones que tenen un criteri sa i un sentit de la vida noble i elevat, saben en moments que la regla moral no existeix o que és equivoca, quina actitud s'ha d'adoptar per procedir correctament (1l9)». La qüestió és aquí de saber si l'esportivitat és una disposició natural, innata, o si és el resultat d'una educació, que tradueix el «criteri sa» i el «sentit de la vida noble i elevat», que és, de fet, el producte d'aquesta mateixa educació. S'ha d'adoptar la segona hipotesi, tenint en compte el que Crexells diu de l'educació: «Educar els joves en l'esport perquè a cada moment actuïn amb aquella claredat i noblesa que anomenem esportivitat, vet aquí una noble finalitat de l'esport. Que quan es plantegi una qüestió qualsevol, en lloc de cercar en la seva memòria quina és la regla moral que s'hi pot aplicar, hi apliquin habitualment el seu sentit esportiu (120)». Aquesta educació és l'educació liberal, l'educació que cal donar als homes lliures, perquè, sense ella, no podrien gaudir de la llibertat. Educació de 1a democràcia, o millor dit, educació a la democràcia.

 

Els problemes de la democràcia

Abans d'anar més lluny, s'ha de precisar el sentit d'aquell mot, «democràcia», ja que es pot discutir si Atenes era una democràcia, i també l'Anglaterra del segle XIX. La sobirania del poble, quan els ciutadans eren només una minoria, i que podien aplegar-se constantment a l'agora, perquè - diu Jean-Jacques Rousseau - «els esclaus feien la feina», planteja evidentment la qüestió que el mateix Rousseau no ha volgut defugir: «Que la llibertat no es manté si no és damunt la servitud? Pot ser. Els dos excessos es toquen. Tot el que no es troba en la natura té els seus inconvenients, i més encara la societat civil. Hi ha situacions tan malaurades que no es pot conservar la pròpia llibertat si no és en detriment de la d'altri, i en què el ciutadà no pot ser completament lliure si l'esclau no és extremament esclau... (121)».

Seria fàcil, massa fàcil, de concloure que la democràcia és només una utopia, conclusió suggerida pel mateix Rousseau: «Si hi hagué un poble de déus, es governaria democràticament. Un govern tan perfecte no s'adiu amb els homes (122)». I encara Rousseau pensava que els grecs havien conegut una autèntica llibertat; hauria refusat, en canvi, el títol de democràcia als règims actuals de representació parlamentària. Ja, parlant dels anglesos, deia que «la sobirania no es pot representar, per la mateixa raó que no es pot alienar; consisteix essencialment en la voluntat general, i la voluntat no es representa pas: és ella mateixa o és una altra; no hi ha terme mitjà. Els diputats del poble no son, doncs, ni ho poden ser, els seus representants; no son altra cosa que els seus comissionats; no poden concloure res definitivament. Una llei que el poble en persona no ha ratificat és nul-la; no és pas una llei. El poble anglès creu que és lliure i va força errat: solament ho és durant l'elecció dels membres del Parlament. Després que han estat elegits, és esclau, no és res. En els breus moments de llibertat que té, bé mereix que la perdi, havent esguard de l'us que en fa (123)».

Gairebé tots els demócrates moderns creuen, tot al contrari, que l'antiga Grècia no era pas una democràcia autèntica, i que la democràcia és el resultat de la dissolució del feudalisme modern, i de la seva substitució per les relacions socials que fomenta el mercat capitalista - relacions en les quals no subsisteix cap desigualtat estatutària entre els ciutadans: la única desigualtat és la que persisteix entre els rics i els pobres. Quan Tocqueville diu que la democràcia és la tendència irresistible que porta l'evolució de les societats modernes, pensa en la dissolució de l'ordre jeràrquic, i no exclou la possibilitat d'un despotisme «democràtic», el despotisme impersonal que ja havia observat als Estats-Units, el poder tirànic de les majories. Això vol dir que no defineix la democràcia a partir de l'activitat lliure dels ciutadans, sinó a partir de la tendència a la igualtat de les condicions. La democràcia és burgesa, diuen també els marxistes, i creuen que és el resultat històric de la inevitable transformació de les relacions de producció, generada pel desenvolupament de les forces productives modernes.

El plantejament de Crexells no s'acorda, ni amb la idealització anacrònica de Grècia, ni amb la superstició moderna del progrés: «l'estudi dels clàssics o de l'època clàssica», ens diu, ens ensenya una cosa, «i és la convicció de la constància dels factors essencials que juguen en les situacions politiques; la convicció, en definitiva, que no existeix cap progrés essencial en l'organització política i social a travès de la Historia. Ja sé que la tesi contrària és considerada com un dogma democràtic. Però aquest dogma no és cap necessitat per a la concepció democràtica. En la seva forma actual és un producte de la concepció hegeliana de la historia popularitzada, amb les alteracions ben conegudes, pel socialisme dels marxistes. Aquesta concepció, segons la qual cada moment de la historia és diferent de l'anterior, i, per tant, hi ha organitzacions politiques que ahir existien i avui no son possibles, és una de les coses que costarà - i ja ha costat - més cara a les democràcies europees. Una oligarquia és tan possible al segle XX com era possible al segle V abans de Crist una democràcia.(...) Contra el cant de sirena del progrés, s'ha de sostenir que no hi ha cap situació política portada simplement pel temps, ni cap situació política defensada només pel temps. El temps, en les baralles politiques, és neutral. Jo soc partidari de la democràcia perquè la democràcia apel-la en mi un cert sentit de justícia que és superior a tots els avantatges que poden tenir altres organitzacions de govern, però estic molt lluny de creure que en el segle vint - «en ple segle vint» -, com diu el partidari del progrés quan discuteix, no sigui possible altra organització política. La democràcia s'ha d'obtenir, ara i en tots els temps, amb un esforç dels seus partidaris; i quan s'ha obtingut una organització democràtica, no s'ha de pensar a desenrotllar una «missió històrica», bo i esperant el que durà l'etapa superior del progrés, sinó que s'ha de defensar. S'ha de defensar perquè les forces reaccionàries son tan vives i tan potents com a qualsevol altre moment de la historia(124)».

Ja veiem que Crexells, des de 1924, denunciava amb força aquesta creença en la fatalitat històrica que Karl Popper criticaria més tard en «Misèria de l'historicisme»: no li ha calgut esperar que s'hagi fet el balanç del feixisme, del stalinisme, i de la segona guerra mundial. També podem observar que Crexells pensa la democràcia d'una manera que prefigura el concepte de «societat oberta» en el pensament de Popper: la democràcia no és el règim perfecte en el que la sobirania del poble es podria exercir directament i sense entrebancs, es defineix, negativament, per la capacitat de resistència dels ciutadans, de cara a les oligarquies i la confiscació del poder en nom d'una «missió històrica», o de qualsevol altre pretext ideològic. En una democràcia, el poder sobirà és l'objecte, i la posta, d'una lluita constant, un «Agòn», que manifesta el rebuig de la submissió, la pretensió prometea de l'home que vol donar-se ell mateix el seu destí i les seves lleis. L'home que no accepta ni els constrenyiments d'un ordre preestablert, ni la pretesa necessitat històrica, que ens portaria a creure que la Historia ja s'ha acabat, abans mateix que els homes l'hagin feta i viscuda...Crexells insisteix en l'obligació (que no és cap «necessitat») de lluitar, «ara i en tots els temps», per arribar a la democràcia i per mantenir-la. Aquesta és la lliçó dels clàssics, l'estudi dels quals Crexells recomana «als avançats del segle XX»: «que llegeixin i estudiin els que eren avançats abans que ells naixessin, els avançats de fa 2500 anys. Els trobaran més avançats que ells mateixos (125)».

Que els clàssics fossin més avançats que els avançats del segle XX, Crexells ja l'havia explicat, en el mateix article sobre «Els clàssics i la política», abans de formular aquesta conclusió: «De fet, els segles V i IV de Grècia foren molt complicats i jugaren en ells idees molt diverses. Els sofistes, aquests homes tan injustament calumniats per la Historia, exposaren les idees modernes més importants sobre organització social i política. Protàgores, l'amic de Pèricles, era un demòcrata convençut com ho demostren les investigacions fetes sobre les lleis de Thurioi, que ell escriví(...) Aristòtil ens cita unes quantes idees d'alguns sofistes, plenes del que anomenem modernitat, com Licofró que en nom de la igualtat demanava la supressió de les prerrogatives de la noblesa, Alcidàmas, que reclamava l'abolició de l'esclavitud amb la frase famosa:«la divinitat ha creat tots els homes lliures, la natura no ha fet ningú esclau». Per altra banda no cal sinó llegir Aristòfanes per veure que ja entre la gent de la seva època circulaven idees comunistes. I no cal dir que la millor època d'Atenes està lligada al nom de Pèricles i de la Democràcia (126)».

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3 février 2021 3 03 /02 /février /2021 10:55

Le mot « cynisme », qui revient assez souvent, dans le roman-fleuve de Margaret Mitchell, m'a conduit à consacrer un commentaire à ce fameux best-seller, en me concentrant sur la modernité du cynisme, incarnée notamment par Rhett Butler et Scarlett O'Hara, pour notre plaisir de lecteurs, - ce qui n'innocente pas le cynisme croissant de la modernité... [voir l'Appendice] Je reprenais, en fait, et sans même y penser, le fil d'une analyse que j'avais, autrefois, esquissée sur la notion de cynisme politique, dans un mémoire de DEA que j'avais consacré aux écrits du philosophe catalan Joan Crexells (1896-1926).

Ce travail, qui remonte aux années 1996-1997, ne prenait en compte que les écrits disponibles à cette époque : le premier volume (déjà posthume) d'une édition de ses « Primers Assaigs », publiée en 1933, par la « Llibreria Catalonia », quelques traductions des premier dialogues platoniciens, dont le Protagoras, et un recueil d'articles, publié en 1968, « La història a l'inrevés », - puis, à l'automne de 1996, le premier volume d'una « Obra completa » qu'allait publier un éditeur barcelonais, « Edicions de la Magrana », qui sera l'édition citée dans nos références ( quatre volumes publiés de 1996 à 1999).

La première partie de mon travail était consacrée aux ouvrages proprement théoriques de Joan Crexells, sa thèse de doctorat, consacrée à des philosophes « austro-hongrois », Bolzano et Brentano, qui allaient influencer des penseurs aussi différents que Husserl et Russell. C'est dans la seconde partie,, que nous retrouverons le cynisme moderne, à propos de questions politiques qui affectaient la politique espagnole, et qui l'affectent aujourd'hui encore, la question du régime politique, monarchie ou république, et la question nationale, surtout en Catalogne.

 

 

Cynisme contre ingénuité

 

Commençons par un texte qui a paru assez important pour être publié deux fois dans la Revista de Catalunya, et sous deux titres différents : en juillet 1924, sous un titre énigmatique et peut-être pédant, « La théorie cynique de la monarchie et la théorie cynique de la démocratie » ; l'année suivante, en juillet 1925, sous un titre plus racoleur : « De Hobbes à Maurras »

Crexells distingue tout d'abord une théorie ingénue de la monarchie, qui correspond à la monarchie de droit divin ; le monarque, dans l'Europe chrétienne, est roi « de droit divin », sa légitimité repose sur les dogmes établis dans l'Epître aux Romains, et s'impose d'elle-même, sans qu'il soit nécessaire de la justifier davantage... Mais depuis les Révolutions du XVIIIème siècle, la Déclaration d'indépendance américaine, et la Déclaration française de 1789, qui affirment que les hommes sont libres et égaux en en droits, il devient nécessaire d'expliquer et de justifier qu'ils doivent se soumettre à une autorité politique : c'est pourquoi les monarchistes sont obligés d'inviter une justification « pragmatique » ou « utilitariste » de cette autorité qui n'est plus naturelle : ce qui est donné dans l'état de nature, ce sont des hommes indépendants, qui n'ont pu se soumettre à l'un ou à l'autre d'entre eux que parce qu'ils y ont trouvé leur propre avantage.Telle est précisément la théorie que Hobbes développe dans le Citoyen (De Cive), puis dans le Leviathan... Théorie d'où naîtront d'autres théories du contrat, celles de Spinoza, de Locke et de Rousseau, pour qui les hommes peuvent certes créer un pouvoir politique pour régler leur coexistence, mais sans abdiquer leur liberté naturelle. Comme dira Rousseau, «l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. »

Crexells oppose deux théories « ingénues » de la souveraineté, celle qui fait du roi un élu du Seigneur, et reconnaît son droit divin, et celle qui fonde le droit du peuple sur un pacte social : « La théorie ingénue de la démocratie dit que le citoyen exerce un droit en exerçant la souveraineté. » Il se déclare lui-même démocrate ingénu », voulant dire par là qu'il est tout naturel, pour des être indépendants qui unissent leurs forces pour pouvoir vivre mieux, de se soumettre au choix, pas forcément définitif, d'une majorité d'entre eux, sous réserve de nouvelles délibérations, permettant de changer la loi. Mais il ajoute que, « même du point de vue cynique, la démocratie est supérieure à la monarchie. » [OC, I, p.153] La théorie de Hobbes suppose que « dans la monarchie l'intérêt privé [du monarque] est le même que l'intérêt public. La richesse, le pouvoir, l'honneur d'un monarque proviennent seulement de la richesse, de la force et de la réputation de ses sujets, puisqu'aucun roi ne peut être riche, glorieux, ni assuré, dont les sujets seraient pauvres ou méprisables ou trop affaiblis par la pénurie ou par les dissensions, pour soutenir une guerre contre leurs ennemis. Alors que dans une démocratie ou une aristocratie la propriété publique ne favorise pas autant la fortune privé d'un corrompu ou d'un ambiteux, que bien souvent un conseil perfide, une trahison, ou une guerre civile. » [p. 154] Telle est bien, en effet, la thèse de Hobbes, et celle de Maurras, à laquelle, toutefois, il est facile d'objecter que, dans aucune dynastie, l'affection paternelle ne peut se limiter à un seul des enfants, et que, par exemple, la dynastie mérovingienne a morcelé son royaume par des partages entre frères, que l'empire de Charlemagne a été partagé entre ses petits-fils, et qu'il faut faire un gros effort d'imagination pour se représenter « le premier des quarante rois qui en mille ans firent la France renonçant à un avantage pour lui ou pour un de ses fils dans l'intérêt de son quarantième successeur » [p. 163] En fait, bien que Crexells ne l'évoque pas, il suffit de penser au choix de Louis XIV devant la succession du roi d'Espagne, ou il a choisi l'intérêt de sa dynastie contre l'intérêt de son propre royaume, déjà épuisé par de nombreuses guerres : moyennant quoi, les Bourbons règnent en Espagne, même s'ils ont perdu la France !

Le cynisme monarchique, bien qu'il semble plus rationnel que le royalisme « ingénu », n'a donc pas introduit d'argument décisif pour remplacer le « droit divin », un cynisme républicain peut facilement répondre que le peuple est lui-même plus porté à défendre ses propres intérêts que les tuteurs monarchiques ou aristocratiques auxquels on prétend le confier : c'est ainsi que Machiavel observe, dans toute principauté, l'opposition entre deux « humeurs », celle des Grands, qui désirent opprimer, et celle du peuple, qui aspire seulement à ne pas être opprimé, ce qui peut justifier le jugement de Rousseau, déclarant que le « Prince » est « le livre des républicains », étant bien entendu que Rousseau défendait la souveraineté du peuple, et non celle des élus qui prétendent le représenter. Il est vrai que Crexells ne reprend pas à son compte la critique rousseauiste du parlementarisme, et se croit gouverné démocratiquement, dès lors qu'il a élu ceux qui le représentent...

L'opposition du cynisme et de l'ingénuité se retrouve dans toute question politique, elle oppose ceux qui se réfèrent au droit, et ceux qui invoquent l'utilité, l'effcacité, l'avantage, ou même « le plus grand bonheur du plus grand nombre », qui est le critère utilitariste. C'est elle que nous pourrons retrouver dans la conception que Crexells a du « nationalisme » qui peut être entendu comme une expression du « principe des nationalités », mais aussi comme celle de la prépondérance que telle ou telle nation revendique à l'encontre d'autres nations – de sorte que le « nationalisme » est un terme ambigu : Crexells a, sur ce point des conceptions très proches de celles que défendait Batista i Roca, notamment dans son livre « Nacionalisme i federalisme », et dont nous parlerons une prochaine fois.

 

APPENDICE I : « Cynisme et modernité de Scarlett »

 

Le mot « cynisme » revient assez souvent, dans le roman-fleuve de Margaret Mitchell,où il qualifie, entre autres, la conduite et les propos de Rhett Butler, et même ceux de Scarlett O'Hara : ceux-ci détonnent, en effet, dans cette épopée nostalgique, où est censé revivre le vieux Sud, Dixieland ... Ce cynisme est, croyons-nous, l'indice d'une modernité clandestine, qui s'invite elle-même là où on ne l'attend pas.

Il apparaît déjà dans les premières pages, où Scarlett O'Hara se laisse courtiser par les jumeaux Tarleton, qui « étaient captifs de son charme », bien qu'elle ne fût pas « d'une beauté classique » : « Dans son visage, empreint d'une expression de douceur minutieusement étudiée, ses yeux verts, frondeurs, autoritaires, pleins de vie, ne correspondaient en rien à son attitude compassée. Elle devait ses bonnes manières aux réprimandes affectueuses de sa mère et à la discipline plus rigoureuse de sa mama, mais ses yeux étaient bien à elle. » [chapitre I, pages 7-8, dans l'édition française publiée chez Gallimard, collection Biblos, 1989. Nos citations seront suivies de l'indication du chapitre, et de la page dans cette édition]

Nous en sommes avertis, la paisible douceur de cette jeune fille n'est donc que le produit de son éducation, sa nature est plutôt turbulente et sauvage.

 

  1. SCARLETT O'HARA

 

Il est bon de noter que la narration est conduite, presque intégralement, comme une confession autobiographique, bien qu'elle soit écrite à la troisième personne : elle n'exprime pas forcément sa pensée, et comporte parfois des jugements qu'il faut attribuer à la romancière, qui ne joue pas le rôle d'un narrateur omniscient, mais qui s'en tient toujours aux expériences que fait l'héroïne elle-même.

Certes, elle n'obéit pas aux normes narratives que Sartre n'avait pas encore formulées, à l'occasion d'un roman de François Mauriac, et elle s'autorise à nous dire, par exemple, que Scarlett ne s'intéressait qu'à des conversations dont elle était l'objet...

On trouvera dans ce chapitre une des rares exceptions qui confirment la règle : les jumeaux Tarleton, quand ils quittent Scarlett, commentent (à son insu) la tournure qu'a bientôt pris leur entretien, qui ne s'est pas conclu comme il aurait dû l'être : « Écoute, fit-il, tu n'as pas l'impression qu'elle aurait dû nous demander de rester à dîner ? - Je croyais qu'elle l'aurait fait, répondit Stuart. J'ai attendu qu'elle se décide, mais elle n'a pas bougé. » [I, p. 19] Ils comprennent enfin, grâce à Jeems, leur domestique noir, qui a suivi leur conversation : « Ji c'ois qu'elle a été heu'euse de vous voi' et que vous lui avez manqué, et elle a été gaie comme un pinson jusqu'au moment où vous lui avez pa'lé du ma'iage de missié Ashley et de miss Melly Hamilton. Alo' elle a fait comme un oiseau quand l'épe'vier y tou'ne dans l'ai' » [I, p. 20] Peggy Mitchell, bien sûr, n'illustre pas ici la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, mais elle nous montre bien que les maîtres n'avaient guère de secrets inaccessibles à leurs esclaves... La suite du récit nous confirme, en effet, que Scarlett était amoureuse d'Ashley, bien qu'elle ne se fût pas encore déclarée, et qu'elle tombe des nues en apprenant qu'Ashley va demander la main de Mélanie Hamilton... Ainsi se met en place la dramaturgie des scènes qui auront lieu au « pique-nique » (barbecue) que vont donner demain les parents d'Ashley Wilkes, et où Scarlett va jouer le tout pour le tout. Car c'est Ashley qu'elle aime, et elle est convaincue qu'il l'aime lui aussi (elle le lui fera avouer), mais elle se heurtera au poids des traditions, qui imposeront le choix d'un mariage arrangé entre les deux familles...

C'est au même pique-nique qu'on va voir Rhett Butler , un invité des Wilkes, qui assiste par hasard à la scène agitée qui aura lieu entre Ashley et Scarlett, après avoir lui-même choqué pas mal de monde en commentant les perspectives de la guerre qui s'annonce entre Sudistes et Nordistes. Scarlett elle-même, entendant le discours « défaitiste » de cet inconnu, l'a plutôt ressenti comme une agression malveillante : « Allons, bon, il prend tous les garçons pour une bande d'imbéciles ! » pensa Scarlett dont les joues s'empourprèrent d'indignation. » [VI, p.152] Puis elle se ravisa quelque peu, tout en jugeant que cet homme était mal éduqué : « Scarlett avait beau être sous l'empire de la colère, quelque chose dans son esprit lui indiqua que cet homme avait raison et que ses paroles étaient marquées au coin du bon sens.C'était vrai, elle n'avait jamais vu d'usines et ne connaissait personne qui en eût vu. Mais même si cela était vrai, il fallait ne pas être un homme du monde pour raconter des choses pareilles au cours d'une fête où tout le monde s'amusait. » [VI, p. 153] Après quoi, il se trouve que ce même malappris assiste, par hasard, car il s'est retiré dans la bibliothèque, à la scène où Scarlett va entreprendre Ashley, qu'elle finit par gifler, avant de briser un vase : « Ah ! En voilà assez ! déclara une voix montant des profondeurs du sofa (...)Les jambes coupées, elle se cramponna au dossier de sa chaise tandis que Rhett Butler se levait du sofa où il était étendu et la saluait avec une politesse exagérée.

-C'est déjà bien assez d'avoir été arraché à ma sieste par une tirade comme celle que j'ai été forcé d'entendre sans que je laisse mettre mes jours en danger. » [I, p. 164]

Quelques mots redoutables vont bientôt s'échanger :  « Monsieur, vous n'êtes pas un homme du monde ! (…) -On n'est plus une femme du monde quand on a dit ou fait ce que j'ai entendu » Mais Rhett Butler est seul à comprendre ce fait (« je ne suis pas un gentleman, vous n'êtes pas une lady ») comme une bonne raison pour une bonne entente, celle qui se noue entre des êres qui se ressemblent.

 

  1. SCARLETT HAMILTON

 

Cette soirée mouvementée nous permet d'observer deux formes de cynisme, un cynisme raisonné, celui de Rhett Butler, qui s'étend même à ses positions politiques, et le cynisme irréfléchi qui est celui de Scarlett, quand elle se trouve acculée dans une impasse, dont elle tente de s'échapper par une « fuite en avant », en se saisissant des rares, et précaires, moyens qui s'offrent à elle dans chaque situation.Elle se trouve alors dans une nouvelle impasse, et elle devra chercher de nouvelles issues : ainsi décide-t-elle, après son altercation avec Ashley, d'accepter la demande en mariage de Charles Hamilton, afin de couper court aux ragots qu'elle redoute : « Deux semaines après, Scarlett était mariée, deux mois plus tard elle était veuve (…) mais elle ne devait jamais plus connaître l'insouciante liberté du temps où elle était jeune fille. Le veuvage avait suivi de près le mariage, mais à son grand désespoir, survint aussi la maternité. » [VII, 175] Elle découvre alors ce qu'est la condition d'une veuve, exclue de toute vie sociale et mondaine, et vouée à servir d'infirmière bénévole dès qu'aura commencé la guerre de Sécession...

Elle va pourtant être invitée à prendre part à une fête, où on aura besoin d'elle pour s'occuper d'une vente de charité, destinée à couvrir les dépenses des hôpitaux. C'est là qu'elle va retrouver Rhett Butler – ou faut-il dire que c'est lui qui la retrouve, et lui dit aussitôt avoir toujours pensé « que cette façon de porter le deuil, d'emprisonner les femmes dans le crêpe pour le restant de leurs jours et de leur interdire toute distraction normale était aussi barbare que la satî hindoue » puis, comme elle ignore cet usage que nous connaissons bien, pour avoir lu le Tour du monde en 80 jours, il lui apprend qu'aux Indes « lorsqu'un homme meurt, on le brûle au lieu de l'enterrer et sa femme monte toujours sur le bûcher funéraire pour être brûlée avec lui (…) Une épouse qui ne se laisserait pas brûler serait mise au ban de la société. Toutes les dames comme il faut pousseraient les hauts cris parce qu'elle ne se serait pas comportée en dame... Tenez, exactement comme ces respectables personnes là-bas dans le coin pousseraient les hauts cris si vous vous montriez ce soir en robe rouge et si vous conduisiez un quadrille. Je crois que la satî est bien plus humaine que nos charmantes coutumes du Sud qui consistent à enterrer vives les veuves. » [IX, 247-248 : ainsi, les mœurs occidentales sont même plus barbares que la satî hindoue !]

On apprendra plus tard les rumeurs qui circulent dans la bonne société, à l'encontre de Rhett Butler, mais il est, ce soir-là, reçu avec faveur, comme « l'intrépide capitaine qui, depuis un an, force avec un si rare bonheur le blocus et le forcera encore pour nous apporter les médicaments que réclame notre hôpital, le capitaine Butler ! » [IX, 250]

Ainsi pourra-t-il se permettre de prendre part aux enchères où chaque danseur paiera pour inviter sa cavalière, suivant la règle qu'impose le docteur Meade : « Messieurs, si vous voulez conduire un quadrille avec la dame de votre choix, il faudra y mettre le prix. C'est moi qui dirigerai les enchères dont le montant ira à l'hôpital. » Ces enchères, à vrai dire, suscitent des murmures : « N'est-ce pas, on dirait... on dirait une vente d'esclaves, murmura Mélanie, les yeux fixés sur le docteur que, jusqu’à ce jour, elle avait trouvé parfait – mais il s'agit, bien sûr, d'un murmure très discret.[IX, 258]

Nous serons moins surpris que Scarlett quand « tout d'un coup, elle entendit son nom... son nom prononcé avec un accent de Charleston sur lequel on ne pouvait se méprendre, son nom qui dominait le tumulte des voix. », et nous nous attendons à entendre les hauts cris annoncés. Le docteur lui-même intervient : « Une autre de nos belles, peut-être ? (…) - Non, fit Rhett d'une voix nette tout en promenant un regard nonchalant sur la foule, Mme Hamilton. - Je vous dis que c'est impossible, insista le docteur, Mme Hamilton ne voudra pas. » C'est alors que « Scarlett entendit une voix que, tout d'abord, elle ne reconnut pas … sa propre voix ! - Si, je veux ![IX, 259-260]

Belle leçon de sociologie, et d'anthropologie, concernant la pression sociale dans des sociétés aussi différentes que l'Inde coloniale et le Sud Confédéré, dont la Cause est si noble... Nous n'insisterons pas sur les suites immédiates, et la délation vertueuse commise par de bonnes âmes, qui écrivent aussitôt à la mère de Scarlett : son père, qui vient la chercher à Atlanta, dans l'intention de la ramener au bercail, devra se résigner à rapporter « que toutes ces histoires à mon sujet ne sont que purs commérages d'une bande de vieilles chipies. » [X, 281] Réponse assez hardie, qui est peut-être due au fait que Peggy Mitchell, un demi-siècle après Scarlett, était la fille d'une « suffragette », ainsi qu'on appelait ces pionnières du féminisme, comme nous l'apprend sa biographe... Mais « la vertu est bête », comme dit Rhett Butler, et « jusqu'à ce qu'on ait perdu sa bonne réputation, on ne comprend ni quel fardeau on avait sur les épaules, ni ce qu'est la liberté. »[IX, 261-262 ]

Rhett Butler, on s'en doute, n'est pas intimidé par sa réputation sulfureuse, il rejette ouvertement la moralité hypocrite qui l'a fait « bannir » de Charleston : « Voyons, pourquoi suis-je la brebis galeuse de la famille Butler ? Pour une seule raison, parce que je n'ai pas pu me conformer aux usages de Charleston. Et Charleston, c'est le Sud en plus exagéré (…) Mon refus d'épouser la jeune personne dont vous avez sans doute entendu parler a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Pourquoi aurais-je épousé une petite oie insipide pour la seule raison qu'un accident m'avait empêché de la ramener chez elle avant la nuit ? Pourquoi aurais-je permis à son frère, qui avait les yeux hagards, de me tirer dessus et de me tuer alors que je visais mieux ? Oh, bien sûr, si j'avais été un homme du monde, je l'aurais laissé me tuer et ça aurait lavé la tache de l'écusson des Butler. Mais... j'aime la vie. Alors j'ai vécu et j'ai pris du bon temps... » [XIII, 323]

Naturellement,c'est le même cynisme qui reparaît dans ses positions politiques, y compris, dans la même conversation, quand il répond à Scarlett qui lui objecte que l’Angleterre et la France vont aider les Confédérés : « Voyons, Scarlett ! Vous avez encore dû lire un journal ! (…) L'Angleterre n'aidera jamais la Confédération. L'Angleterre ne mise jamais sur le mauvais cheval. C'est cela qui fait d'elle l'Angleterre. (…) Quant à la France, cette pâle imitation de Napoléon qui la gouverne est bien trop occupée au Mexique pour se soucier de nous. En fait, l'Empereur se félicite de cette guerre qui nous accapare trop pour mettre ses troupes à la porte du Mexique... » [XIII, 322]

C'est la même Realpolitik qu'il avait défendue, à la veille du conflit, dans sa prise de parole au « pique-nique » des Douze Chênes, et qu'Ashley, ce jour-là, n'avait commenté que pour dire « quel type arrogant, hein ? Il ressemble à l'un des Borgia. » C'était sans doute une allusion à Machiavel, que Scarlett, qui ne sait même pas qui étaient les Borgia, n'aurait pas pu comprendre. Mais plus tard, il devait s'expliquer davantage, dans une longue lettre à sa femme Mélanie, où il rappelle « qu'au pique-nique, le jour où l'on a annoncé nos fiançailles, un certain Butler, un Charlestonien sans doute d'après son accent, a failli provoquer une bataille par ses réflexions sur l'ignorance des Sudistes (…) parce qu'il disait que nous n'avions guère de fonderies, d'usines, de minoteries, de bateaux ou d'arsenaux. Vous souvenez-vous qu'il disait que la flotte yankee pourrait si étroitement bloquer nos ports que nous serions hors d'état d'exporter notre coton ? Il avait raison. Nous opposons aux nouveaux fusils yankees des mousquets datant de la Révolution et bientôt le blocus sera si effectif que nous ne pourrons même plus introduire chez nous des médicaments. Nous aurions mieux fait d'écouter des cyniques comme Butler ! » [XI, 287] Cette lettre, Scarlett l'avait lue, sans le moindre scrupule, en profitant d'une absence de Mélanie, parce qu'elle y cherchait les signes de l'amour qu'il avait pour sa femme, et qui n'étaient peut-être que des signes amicaux, elle se réjouissait de voir qu'Ashley l'appelait « ma chère femme » et non « chérie » ou « ma bien-aimée » [XI, 284]... : « elle ne lisait pas la correspondance de Mélanie pour savoir à quoi s'en tenir sur les idées biscornues et inintéressantes d'Ashley. C'était déjà bien beau d'avoir eu à l'écouter parler jadis sous la véranda de Tara. » [XI, 288] Elle n'a vraiment pas tort de dire, à tout bout de champ, qu'elle laisse la politique aux hommes : en effet, elle n'y comprend rien.

Mélanie, au contraire, avait très bien compris, à tel point qu'il lui arrive, elle qui est si douce et si peu querelleuse, de prendre la défense de Rhett Butler devant Mme Merrywhether, qui proclame que « Tout homme qui ne considère pas notre Cause comme juste et sainte devrait être pendu ! Vous, mes petites, je ne veux pas entendre dire que vous lui adressez encore la parole... Au nom du Ciel, Melly, qu'as-tu ? Es-tu souffrante ? » Mélanie était blême. Ses yeux semblaient hagards – Si, je continuerai de lui parler, fit-elle d'une voix assourdie. Je ne serai pas grossière avec lui. Je ne lui interdirai pas la maison » (…) « C'est moi qui aurais dû trouver ça, songea Scarlett en qui se mêlaient la jalousie et l'admiration (…) Mélanie tremblait, mais elle se hâta de continuer comme si elle avait craint de perdre courage en s'arrêtant : « Je n'ai pas à lui en vouloir de ce qu'il a dit... il a eu tort de dire tout haut ce qu'il pensait... ce n'était pas une chose à faire, mais c'est... mais Ashley pense comme lui. Et je ne peux pas interdire ma maison à un homme qui pense comme mon mari. Ce serait injuste » [XII, 314] C'est alors, seulement, que Scarlett se rappelle les idées « biscornues et inintéressantes » qu'elle avait déjà eu sous les yeux : « Oh ! Cette lettre, pensa Scarlett. Était-ce bien cela qu'elle voulait dire ? » [XIII, 315]

Il y a donc un abîme entre le cynisme avoué, sinon même proclamé,de Rhett Butler, et les agissements cyniques de Scarlett, qui entend rester une « dame », et n'aime pas beaucoup s'entendre rappeler « comme vous étiez charmante ce jour-là, aux Douze Chênes, quand vous étiez en colère et que vous lanciez des vases. - Oh ! Voyons, vous n'oublierez donc jamais cela ? - Non, c'est un des souvenirs auxquels je tiens le plus... le tempérament irlandais perçant sous l'éducation raffinée d'une belle jeune femme du Sud... Vous êtes très irlandaise, n'est-ce pas ?

 

  1. DE SCARLETT KENNEDY A SCARLETT BUTLER

 

Nous voici arrivés au moment où bascule, non seulement l'histoire de la guerre civile, mais aussi et surtout l'histoire de Scarlett : jusqu'ici, elle n'était qu'un produit de la culture sudiste, une fille à marier, une épouse, une veuve, dont toutes les actions étaient prescrites par une tradition sacro-sainte, et sanctionnées par la force du qu'en-dira-t-on. Mais la voici forcée de s'enfuir d'Atlanta, avec son fils et sa belle-sœur enceinte, pour chercher refuge à Tara, dans la plantation où elles avaient passé leur enfance. Elles vont découvrir un pays dévasté où les armées nordistes pillent et incendient aussi bien les récoltes que les maisons... La demeure des O'Hara n'a pas été brûlée, parce que Gerald, le père de Scarlett, a dit à l'officier nordiste qu'il lui faudrait brûler aussi toute la famille, lui-même, sa femme et ses deux filles, atteintes par la typhoïde, alitées et intransportables : « Le jeune officier était... oui, était un gentleman.(...) Il a fait faire demi-tour à son cheval, il est parti au galop et il n'a pas tardé à revenir avec un capitaine, un chirurgien, qui a examiné les petites, et ta.mère.(...) Il avait de l'opium. Nous, nous n'en avions pas. Il a sauvé tes sœurs. Suellen avait une hémorragie. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir. Quand il a dit à ses chefs qu'il y avait des malades... ils n'ont pas brûlé la maison. Un général est venu s'installer ici avec ses officiers... Beaucoup de monde. Ils ont rempli toutes les chambres, sauf celles des malades. » [XXIV, 552] Puis, bien sûr, quand ils sont repartis, « Ils ont abattu les clôtures, ils les ont brûlées pour faire la cuisine, ils ont brûlé aussi les étables et les écuries. Ils ont tué les vaches, les cochons, les poulets, même les pintades (…) Ils ont emporté des tas de choses, même les tableaux... quelques meubles... la vaisselle... » [XXIV, 553]

Scarlett va devenir la maîtresse de maison, parce que sa mère est morte, et parce que son père va retomber en enfance. Elle va, désormais, être obligée de prendre en main sa destinée, et celle de ses proches : c'est une lourde tâche, pour une femme-enfant, qui sera confrontée à de graves problèmes, la plantation est dévastée, les seuls Noirs qui y sont restés sont ceux qui servent à la maison, et ne sont pas plus qu'elle habitués aux tâches de la vie agricole. En outre, elle va bientôt devoir payer les impôts pour cette exploitation agricole qui ne rapporte plus, et qui pourra être mise en vente forcée si elle n'acquitte pas ses impôts.

Nous allons assister à quelques vilenies, rendues inévitables par l'état de nécessité, où Scarlett oubliera ses prétentions à être une dame du monde, une lady : ainsi épousera-t-elle Frank Kennedy,qui était le soupirant de sa sœur Suellen, auquel elle a fait croire que Suellen avait trouvé un autre amant... et c'est ainsi qu'elle pourra payer ses impôts et sauver son domaine de la confiscation...

Elle devient cynique, et c'est alors qu'a lieu la scène bien connue, qui est à peu près le seul souvenir qui me reste du film que j'ai vu il y a bien des années : « La faim la tenailla de nouveau et elle dit tout haut : - J'en prends Dieu à témoin, j'en prends Dieu à témoin, les Yankees ne m'auront pas. Je tiendrai bon, et quand j'aurai surmonté tout cela, je n'aurai plus jamais le ventre creux. Non, ni moi ni les miens. Même si je dois voler ou tuer, tant pis, j'en prends Dieu à témoin, je n'aurai plus jamais le ventre creux. » [XXV, 577 : bien évidemment, mon souvenir de cette scène n'inclut pas, à la lettre, le souvenir de ce serment, que j'ai retrouvé dans le livre]

Nous n'allons pas suivre, pas à pas, l'histoire de cette conversion au cynisme, nous essaierons d'y voir ce qui en fait un apprentissage, et la découverte d'une modernité. Par exemple ceci : « Elle tyrannisait les nègres et mettait ses sœurs au supplice non seulement parce qu'elle était trop occupée et trop épuisée pour faire autrement, mais parce que ça l'aidait à oublier l'amertume qu'elle ressentait, en constatant que tout ce que sa mère lui avait dit de la vie était faux » [XXV, 585]

Elle va même commettre un meurtre, excusable, il est vrai, par la légitime défense, quand elle est agressée par un soldat déserteur et pillard, qu'elle abat, « et soudain elle reprit conscience de la vie, elle fut envahie d'une joie féroce de tigresse. » [XXVI 594] Elle dissimule son cadavre, car il s'agit d'un soldat Nordiste, en uniforme bleu, et qu'elle a tout à craindre si on l'accuse de rébellion ; par ailleurs, elle trouve sur lui un portefeuille bien garni, « des billets des États-Unis à dos vert, pêle-mêle avec des billets confédérés et au milieu d'eux, jetant un faible reflet, une pièce d'or de dix dollars et deux pièces de cinq dollars en or également. » [XXVI, 597]

Elle va bientôt pouvoir rentrer à Atlanta, et confier la gestion du domaine à un jeune soldat démobilisé, Will Benteen, qui était le fils d'un fermier, et qui s'est révélé capable et avisé ; il deviendra plus tard le mari de Suellen. Scarlett va devenir une femme d'affaires, gérant une scierie, puis deux, qui seront fort actives dans la reconstruction d'une ville où beaucoup d'édifices sont encore faits de planches.

Plus tard, évoquant elle-même le chemin parcouru depuis la chute d'Atlanta, et sa fuite précipitée, elle se rappelle qu'alors « elle n'était qu'une jeune femme gâtée, égoïste, sans expérience, un être plein de jeunesse, aux sentiments tout frais, capable de trouver encore maints sujets d'étonnement dans la vie. Désormais, il ne restait plus rien de cette jeune femme. La faim, les travaux accablants, la peur, ses nerfs perpétuellement tendus, les affres de la guerre et de la Reconstruction lui avaient pris tout ce qu'elle avait de chaleur, de jeunesse et de douceur. », et elle se rendait compte que « pour elle et pour tout le Sud, la guerre ne prendrait jamais fin. » [XXXI, 734]

C'est ici qu'il nous faut être attentifs à ce qui nous paraît être la persistance d'un sentiment « sudiste », car s'il y a lieu de croire qu'elle se sent menacée par les « bootleggers », il serait faux de croire qu'elle reste fidèle aux passions romantiques cultivées avant la guerre. Elle critique férocement ce que pensent les nostalgiques : « En dépit de tout ce qu'ils savent, ils s'imaginent encore qu'il ne leur arrivera rien de véritablement terrible parce qu'ils sont des O'Hara, des Wilkes, des Hamilton. Les nègres eux-mêmes partagent leurs sentiments. Oh ! Les imbéciles ! Ils ne se rendront jamais compte de rien. Ils continueront à penser et à vivre comme ils l'ont toujours fait et rien ne les changera. (Je suis la seule qui ait changé... et je ne l'aurais pas fait si j'avais pu m'arranger autrement. » [XXXII, 743-744]

Quand Scarlett entreprend de gérer la scierie, dont elle a repris le projet à son nouveau mari, Frank Kennedy, c'est parce qu'elle a découvert qu'il n'était pas vraiment doué pour les affaires : en étudiant les comptes du magasin qu'il gère, elle est déçue par sa terrible incompétence : « Quand je pense qu'il a la prétention de faire marcher une scierie, s'indigna soudain Scarlett, Cornebleu ! S'il transforme ce magasin en institution charitable, comment peut-on espérer qu'il gagnera de l'argent en vendant du bois ? (…) J'ai beau ne pas m'y connaître en bois, je parie que je saurais encore mieux faire marcher une scierie que lui ! » : « C'était pour le moins une pensée surprenante. Une femme plus compétente qu'un homme en affaires ! Pensée révolutionnaire pour Scarlett qui avait été bercée dans la tradition que les hommes étaient conscients et que les femmes n'étaient pas trop intelligentes. Bien entendu, elle s'était rendu compte que ce n'était pas vrai du tout, mais elle avait encore l'esprit tout imprégné de cette agréable fiction. Jamais auparavant il ne lui était arrivé d'exprimer par des mots cette idée remarquable. Immobile, le livre épais sur les genoux, la bouche légèrement entrouverte par la surprise, elle songeait qu'au cours des mois de disette elle avait abattu à Tara une besogne d'homme et qu'elle s'en était tirée à son honneur. Dès sa jeunesse, on lui avait inculqué la notion qu'une femme seule ne pouvait rien faire et pourtant, jusqu'à l'arrivée de Will, elle avait dirigé la plantation sans l'aide d'aucun homme. » [XXXVI, 837-838]

C'est alors qu'elle renoue avec Rhett Butler, qui finira par être son dernier mari. Nous n'avons pas voulu retracer leur histoire, et pas même la résumer, chacun pourra la lire dans le roman lui-même. Mais nous voulions cerner le sens de cette histoire, où le cynisme peut s'appeler réalisme, et définit le sens d'une modernité, qu'on pourrait aussi bien dire « individualiste » C'est ce que dit Butler, à qui nous voudrions laisser le dernier mot : « Vous avez simplement cherché à ne pas faire comme les autres femmes, et ma foi vous n'avez pas mal réussi. Comme je vous l'ai déjà dit, la société ne veut pas qu'on se singularise. C'est le seul péché qu'elle ne pardonne pas. Maudit soit celui qui est différent des autres. Et puis, Scarlett, le seul fait que votre scierie marche bien est une injure à tout homme dont les affaires périclitent. Rappelez-vous qu'une femme bien élevée doit rester à son foyer et ignorer ce qui se passe dans le monde brutal des gens laborieux. » [XXXVIII, 918 : N'allez pas croire que je souscrive à cette apologie de l'individualisme : la modernité du cynisme ne doit pas nous masquer le cynisme accablant de la modernité. Lisez plutôt le Traité d'économie hérétique, de Thomas Porcher, Pluriel, 2019] Pensée qui est, en effet, fort révolutionnaire, aux antipodes mêmes des traditions « sudistes », auxquelles on aurait tort de réduire la portée de Gone by the wind, ce grand livre émancipateur !

 

 

POST-SCRIPTUM AUTOCRITIQUE (24 JANVIER 2021)

 

A première lecture, l'attention du lecteur est pratiquement forcée de se concentrer sur Scarlett et sur Rhett Butler. Elle sera, par là-même, conduite à sous-estimer les autres personnages, et à les juger mal. Cette vision biaisée s'impose aux commentateurs, même s'il leur arrive de s'en apercevoir : c'est pourquoi lorsqu'ils ont pu mettre en perspective une reconstruction plausible du récit, ils auront bien du mal à y intégrer un autre point de vue, qui aurait rendu justice à des personnages "mineurs"... Tout au plus peuvent-ils glisser quelques remarques, qui peuvent attirer le regard du lecteur sur d'autres personnages, qui sont restés dans l'ombre. Mais il n'est guère possible de composer un commentaire polyphonique englobant tous les points de vue : nous nous contenterons d'indiquer quelques pistes, qui pourront suggérer d'autres herméneutiques.

Tout d'abord, on s'en doute, il faut prendre au sérieux le cas de Mélanie, constamment décriée par sa belle-sœur - et rivale - Scarlett : celle-ci la juge constamment sotte et superficielle, incapable de voir qu'elles sont, l'une et l'autre, amoureuses du même homme, de sorte qu'elle serait si facile à tromper, dans tous les sens du verbe "tromper". C'est même ce qu'il semble dans un épisode tardif que nous avons négligé, où Ashley embrasse Scarlett, scène qui est surprise par plusieurs témoins. On s'attend à ce qu'il en résulte un scandale, à la prochaine réunion familiale - et c'est Mélanie, elle-même, qui trouve le moyen de réduire au silence toute dénonciation, avant même d'entendre les explications de Scarlett. C'est là le fait d'une sagesse supérieure, plutôt qu'une conduite de cocu(e) consentant(e) : nous avons voulu croire que les lecteurs pourraient se passer de tout commentaire, et qu'ils sauraient relire tout le rôle de Mélanie avec l'idée qu'elle est aussi fine que Scarlett.

Il faut encore revenir sur un épisode que nous nous sommes bien gardé d'introduire, celui où est mise en scène une expédition punitive du Ku Klux Klan, qui réplique aux incivilités dont Scarlett a été victime, en se déplaçant seule dans Atlanta, conduisant elle-même une voiture que son cocher, ancien bagnard, avait refusé de conduire, depuis qu'elle employait des condamnés dans ses scieries. Cette expédition punitive se solde par la mort de deux participants, l'un d'eux n'étant autre que Frank Kennedy, le mari de Scarlett... Le scandale est étouffé grâce à l'intervention ingénieuse de Rhett Butler, qui met en scène un duel simulé entre les deux victimes... Là encore, nous avons supposé que les lecteurs sauraient se faire une opinion.

Nous avons donc omis tout ce qui, dans cette œuvre, débordait notre thème - cynisme et modernité -, ne disant rien non plus du troisième mariage de Scarlett, ni du sort malheureux de sa petite fille, qu'on aurait pu croire inspiré de "Barry Lyndon", mais qui est peut-être, en fait une réminiscence des chutes de cheval qu'a vécues, elle-même, l'auteure du roman.

 

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21 janvier 2021 4 21 /01 /janvier /2021 13:17

Le mot « cynisme » revient assez souvent, dans le roman-fleuve de Margaret Mitchell, où il qualifie, entre autres, la conduite et les propos de Rhett Butler, et même ceux de Scarlett O'Hara : ceux-ci détonnent, en effet, dans cette épopée nostalgique, où est censé revivre le vieux Sud, Dixieland ... Ce cynisme est, croyons-nous, l'indice d'une modernité clandestine, qui s'invite elle-même là où on ne l'attend pas.
Il apparaît déjà dans les premières pages, où Scarlett O'Hara se laisse courtiser par les jumeaux Tarleton, qui « étaient captifs de son charme », bien qu'elle ne fût pas « d'une beauté classique » : « Dans son visage, empreint d'une expression de douceur minutieusement étudiée, ses yeux verts, frondeurs, autoritaires, pleins de vie, ne correspondaient en rien à son attitude compassée. Elle devait ses bonnes manières aux réprimandes affectueuses de sa mère et à la discipline plus rigoureuse de sa mama, mais ses yeux étaient bien à elle. » [chapitre I, pages 7-8, dans l'édition française publiée chez Gallimard, collection Biblos, 1989. Nos citations seront suivies de l'indication du chapitre, et de la page dans cette édition]
Nous en sommes avertis, la paisible douceur de cette jeune fille n'est donc que le produit de son éducation, sa nature est plutôt turbulente et sauvage.

I. SCARLETT O'HARA

Il est bon de noter que la narration est conduite, presque intégralement, comme une confession autobiographique, bien qu'elle soit écrite à la troisième personne : elle n'exprime pas forcément sa pensée, et comporte parfois des jugements qu'il faut attribuer à la romancière, qui ne joue pas le rôle d'un narrateur omniscient, mais qui s'en tient toujours aux expériences que fait l'héroïne elle-même.
Certes, elle n'obéit pas aux normes narratives que Sartre n'avait pas encore formulées, à l'occasion d'un roman de François Mauriac, et elle s'autorise à nous dire, par exemple, que Scarlett ne s'intéressait qu'à des conversations dont elle était l'objet...
 On trouvera dans ce chapitre une des rares exceptions qui confirment la règle : les jumeaux Tarleton, quand ils quittent Scarlett, commentent (à son insu) la tournure qu'a bientôt pris leur entretien, qui ne s'est pas conclu comme il aurait dû l'être : « Ecoute, fit-il, tu n'as pas l'impression qu'elle aurait dû nous demander de rester à dîner ? - Je croyais qu'elle l'aurait fait, répondit Stuart. J'ai attendu qu'elle se décide, mais elle n'a pas bougé. » [I, p. 19] Ils comprennent enfin, grâce à Jeems, leur domestique noir, qui a suivi leur conversation : « Ji c'ois qu'elle a été heu'euse de vous voi' et que vous lui avez manqué, et elle a été gaie comme un pinson jusqu'au moment où vous lui avez pa'lé du ma'iage de missié Ashley et de miss Melly Hamilton. Alo' elle a fait comme un oiseau quand l'épe'vier y tou'ne dans l'ai' » [I, p. 20] Peggy Mitchell, bien sûr, n'illustre pas ici la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, mais elle nous montre bien que les maîtres n'avaient guère de secrets inaccessibles à leurs esclaves... La suite du récit nous confirme, en effet, que Scarlett était amoureuse d'Ashley, bien qu'elle ne se fût pas encore déclarée, et qu'elle tombe des nues en apprenant qu'Ashley va demander la main de Mélanie Hamilton... Ainsi se met en place la dramaturgie  des scènes qui auront lieu au « pique-nique » (barbecue) que vont donner demain les parents d'Ashley Wilkes, et où Scarlett va jouer le tout pour le tout. Car c'est Ashley qu'elle aime, et elle est convaincue qu'il l'aime lui aussi (elle le lui fera avouer), mais elle se heurtera au poids des traditions, qui imposeront le choix d'un mariage arrangé entre les deux familles...
C'est au même pique-nique qu'on va voir Rhett Butler, un invité des Wilkes, qui assiste par hasard à la scène agitée qui aura lieu entre Ashley et Scarlett, après avoir lui-même choqué pas mal de monde en commentant les perspectives de la guerre qui s'annonce entre Sudistes et Nordistes. Scarlett elle-même, entendant le discours « défaitiste » de cet inconnu, l'a plutôt ressenti comme une agression malveillante : « Allons, bon, il prend tous les garçons pour une bande d'imbéciles ! » pensa Scarlett dont les joues s'empourprèrent d'indignation. » [VI, p.152] Puis elle se ravisa quelque peu, tout en jugeant que cet homme était mal éduqué : « Scarlett avait beau être sous l'empire de la colère, quelque chose dans son esprit lui indiqua que cet homme avait raison et que ses paroles étaient marquées au coin du bon sens. C'était vrai, elle n'avait jamais vu d'usines et ne connaissait personne qui en eût vu. Mais même si cela était vrai, il fallait ne pas être un homme du monde pour raconter des choses pareilles au cours d'une fête où tout le monde s'amusait. » [VI, p. 153] Après quoi, il se trouve que ce même malappris assiste, par hasard, car il s'est retiré dans la bibliothèque, à la scène où Scarlett va entreprendre Ashley, qu'elle finit par gifler, avant de briser un vase : « Ah ! En voilà assez ! déclara une voix montant des profondeurs du sofa (...) Les jambes coupées, elle se cramponna au dossier de sa chaise tandis que Rhett Butler se levait du sofa où il était étendu et la saluait avec une politesse exagérée.
- C'est déjà bien assez d'avoir été arraché à ma sieste par une tirade comme celle que j'ai été forcé d'entendre sans que je laisse mettre mes jours en danger. » [VI, p. 164]
Quelques mots redoutables vont bientôt s'échanger :  « Monsieur, vous n'êtes pas un homme du monde ! (…) - On n'est plus une femme du monde quand on a dit ou fait ce que j'ai entendu » [VI, p. 165] Mais Rhett Butler est seul à comprendre ce fait ("je ne suis pas un gentleman, vous n'êtes pas une lady") comme une bonne raison pour une bonne entente, celle qui se noue entre des êtres qui se ressemblent.

 

II. SCARLETT HAMILTON

Cette soirée mouvementée nous permet d'observer deux formes de cynisme, un cynisme raisonné, celui de Rhett Butler, qui s'étend même à ses positions politiques, et le cynisme irréfléchi qui est celui de Scarlett, quand elle se trouve acculée dans une impasse, dont elle tente de s'échapper par une « fuite en avant », en se saisissant des rares, et précaires, moyens qui s'offrent à elle dans chaque situation. Elle se trouve alors dans une nouvelle impasse, et elle devra chercher de nouvelles issues : ainsi décide-t-elle, après son altercation avec Ashley, d'accepter la demande en mariage de Charles Hamilton, afin de couper court aux ragots qu'elle redoute. "Deux semaines plus tard, Scarlett était mariée, deux mois plus tard elle était veuve (…) mais elle ne devait jamais plus connaître l'insouciante liberté du temps où elle était jeune fille. Le veuvage avait suivi de près le mariage, mais à son grand désespoir, survint aussi la maternité. » [VII, 175] Elle découvre alors ce qu'est la condition d'une veuve, exclue de toute vie sociale et mondaine, et vouée à servir d'infirmière bénévole dès qu'aura commencé la guerre de Sécession...

Elle va pourtant être invitée à prendre part à une fête, où on aura besoin d'elle pour s'occuper d'une vente de charité, destinée à couvrir les dépenses des hôpitaux. C'est là qu'elle va retrouver Rhett Butler – ou faut-il dire que c'est lui qui la retrouve, et lui dit aussitôt avoir toujours pensé « que cette façon de porter le deuil, d'emprisonner les femmes dans le crêpe pour le restant de leurs jours et de leur interdire toute distraction normale était aussi barbare que la satî hindoue » puis, comme elle ignore cet usage que nous connaissons bien, pour avoir lu le Tour du monde en 80 jours, il lui apprend qu'aux Indes « lorsqu'un homme meurt, on le brûle au lieu de l'enterrer et sa femme monte toujours sur le bûcher funéraire pour être brûlée avec lui (…) Une épouse qui ne se laisserait pas brûler serait mise au ban de la société. Toutes les dames comme il faut pousseraient les hauts cris parce qu'elle ne se serait pas comportée en dame... Tenez, exactement comme ces respectables personnes là-bas dans le coin pousseraient les hauts cris si vous vous montriez ce soir en robe rouge et si vous conduisiez un quadrille. Je crois que la satî est bien plus humaine que nos charmantes coutumes du Sud qui consistent à enterrer vives les veuves. » [IX, 247-248 : ainsi les mœurs occidentales sont même plus barbares que la satî hindoue !]

On apprendra plus tard les rumeurs qui circulent dans la bonne société, à l'encontre de Rhett Butler, mais il est, ce soir-là, reçu avec faveur, comme « l'intrépide capitaine qui, depuis un an, force avec un si rare bonheur le blocus et le forcera encore pour nous apporter les médicaments que réclame notre hôpital, le capitaine Butler ! » [IX, 250]

Ainsi pourra-t-il se permettre de prendre part aux enchères où chaque danseur paiera pour inviter sa cavalière, suivant la règle qu'impose le docteur Meade : « Messieurs, si vous voulez conduire un quadrille avec la dame de votre choix, il faudra y mettre le prix. C'est moi qui dirigerai les enchères dont le montant ira à l'hôpital. » Ces enchères, à vrai dire, suscitent des murmures : « N'est-ce pas, on dirait... on dirait une vente d'esclaves, murmura Mélanie, les yeux fixés sur le docteur que,  jusqu'à ce jour, elle avait trouvé parfait – mais il s'agit, bien sûr, d'un murmure très discret. [IX, 258]

Nous serons moins surpris que Scarlett quand « tout d'un coup, elle entendit son nom... son nom prononcé avec un accent de Charleston sur lequel on ne pouvait se méprendre, son nom qui dominait le tumulte des voix. », et nous nous attendons à entendre les hauts cris annoncés. Le docteur lui-même intervient : « Une autre de nos belles, peut-être ? (…) - Non, fit Rhett d'une voix nette tout en promenant un regard nonchalant sur la foule, Mme Hamilton. - Je vous dis que c'est impossible, insista le docteur, Mme Hamilton ne voudra pas. » C'est alors que « Scarlett entendit une voix que, tout d'abord, elle ne reconnut pas … sa propre voix ! - Si, je veux ! [IX, 259-260]

Belle leçon de sociologie, et d'anthropologie, concernant la pression sociale dans des sociétés aussi différentes que l'Inde coloniale et le Sud Confédéré, dont la Cause est si noble... Nous n'insisterons pas sur les suites immédiates, et la délation vertueuse commise par de bonnes âmes, qui écrivent aussitôt à la mère de Scarlett : son père, qui vient la chercher à Atlanta, dans l'intention de la ramener au bercail, devra se résigner à rapporter « que toutes ces histoires à mon sujet ne sont que purs commérages d'une bande de vieilles chipies. » [X, 281] Réponse assez hardie, qui est peut-être due au fait que Peggy Mitchell, un demi-siècle après Scarlett, était la fille d'une « suffragette », ainsi qu'on appelait ces pionnières du féminisme, comme nous l'apprend sa biographe... Mais « la vertu est bête », comme dit Rhett Butler, et « jusqu'à ce qu'on ait perdu sa bonne réputation, on ne comprend ni quel fardeau on avait sur les épaules, ni ce qu'est la liberté. »[IX, 261-262 ]

Rhett Butler, on s'en doute, n'est pas intimidé par sa réputation sulfureuse, il rejette ouvertement la moralité hypocrite qui l'a fait « bannir » de Charleston : « Voyons, pourquoi suis-je la brebis galeuse de la famille Butler ? Pour une seule raison, parce que je n'ai pas pu me conformer aux usages de Charleston. Et Charleston, c'est le Sud en plus exagéré (…) Mon refus d'épouser la jeune personne dont vous avez sans doute entendu parler a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Pourquoi aurais-je épousé une petite oie insipide pour la seule raison qu'un accident m'avait empêché de la ramener chez elle avant la nuit ? Pourquoi aurais-je permis à son frère, qui avait les yeux hagards, de me tirer dessus et de me tuer alors que je visais mieux ? Oh, bien sûr, si j'avais été un homme du monde, je l'aurais laissé me tuer et ça aurait lavé la tache de l'écusson des Butler. Mais... j'aime la vie. Alors j'ai vécu et j'ai pris du bon temps... » [XIII, 323]

Naturellement, c'est le même cynisme qui reparaît dans ses positions politiques, y compris, dans la même conversation, quand il répond à Scarlett qui lui objecte que l'Angleterre et la France vont aider les Confédérés : « Voyons, Scarlett ! Vous avez encore dû lire un journal ! (…) L'Angleterre n'aidera jamais la Confédération. L'Angleterre ne mise jamais sur le mauvais cheval. C'est cela qui fait d'elle l'Angleterre. (…) Quant à la France, cette pâle imitation de Napoléon qui la gouverne est bien trop occupée au Mexique pour se soucier de nous. En fait, l'Empereur se félicite de cette guerre qui nous accapare trop pour mettre ses troupes à la porte du Mexique... » [XIII, 322]

C'est la même Realpolitik qu'il avait défendue, à la veille du conflit, dans sa prise de parole au « pique-nique » des Douze Chênes, et qu'Ashley, ce jour-là, n'avait commenté que pour dire « quel type arrogant, hein ? Il ressemble à l'un des Borgia. » C'était sans doute une allusion à Machiavel, que Scarlett, qui ne sait même pas qui étaient les Borgia, n'aurait pas pu comprendre. Mais plus tard, il devait s'expliquer davantage, dans une longue lettre à sa femme Mélanie, où il rappelle « qu'au pique-nique, le jour où l'on a annoncé nos fiançailles, un certain Butler, un Charlestonien sans doute d'après son accent, a failli provoquer une bataille par ses réflexions sur l'ignorance des Sudistes (…) parce qu'il disait que nous n'avions guère de fonderies, d'usines, de minoteries, de bateaux ou d'arsenaux. Vous souvenez-vous qu'il disait que la flotte yankee pourrait si étroitement bloquer nos ports que nous serions hors d'état d'exporter notre coton ? Il avait raison. Nous opposons aux nouveaux fusils yankees des mousquets datant de la Révolution et bientôt le blocus sera si effectif que nous ne pourrons même plus introduire chez nous des médicaments. Nous aurions mieux fait d'écouter des cyniques comme Butler ! » [XI, 287] Cette lettre, Scarlett l'avait lue, sans le moindre scrupule, en profitant d'une absence de Mélanie, parce qu'elle y cherchait les signes de l'amour qu'il avait pour sa femme, et qui n'étaient peut-être que des signes amicaux, elle se réjouissait de voir qu'Ashley l'appelait « ma chère femme » et non « chérie » ou « ma bien-aimée » [XI, 284]... : « elle ne lisait pas la correspondance de Mélanie pour savoir à quoi s'en tenir sur les idées biscornues et inintéressantes d'Ashley. C'était déjà bien beau d'avoir eu à l'écouter parler jadis sous la véranda de Tara. » [XI, 288] Elle n'a vraiment pas tort de dire, à tout bout de champ, qu'elle laisse la politique aux hommes : en effet, elle n'y comprend rien.

Mélanie, au contraire, avait très bien compris, à tel point qu'il lui arrive, elle qui est si douce et si peu querelleuse, de prendre la défense de Rhett Butler devant Mme Merrywhether, qui proclame que « Tout homme qui ne considère pas notre Cause comme juste et sainte devrait être pendu ! Vous, mes petites, je ne veux pas entendre dire que vous lui adressez encore la parole... Au nom du Ciel, Melly, qu'as-tu ? Es-tu souffrante ? » Mélanie était blême. Ses yeux semblaient hagards – Si, je continuerai de lui parler, fit-elle d'une voix assourdie. Je ne serai pas grossière. Je ne lui interdirai pas la maison » (…) « C'est moi qui aurais dû trouver ça, songea Scarlett en qui se mêlaient la jalousie et l'admiration (…) Mélanie tremblait, mais elle se hâta de continuer comme si elle avait craint de perdre courage en s'arrêtant : « Je n'ai pas à lui en vouloir de ce qu'il a dit... il a eu tort de dire tout haut ce qu'il pensait... ce n'était pas une chose à faire, mais c'est... mais Ashley pense comme lui. Et je ne peux pas interdire ma maison à un homme qui pense comme mon mari. Ce serait injuste » [XII, 314] C'est alors, seulement, que Scarlett se rappelle les idées « biscornues et inintéressantes » qu'elle avait déjà eu sous les yeux : « Oh ! Cette lettre, pensa Scarlett. Etait-ce bien cela qu'elle voulait dire ? » [XIII, 315]

Il y a donc un abîme entre le cynisme avoué, sinon même proclamé, de Rhett Butler, et les agissements cyniques de Scarlett, qui entend rester une « dame », et n'aime pas beaucoup s'entendre rappeler « comme vous étiez charmante ce jour-là, aux Douze Chênes, quand vous étiez en colère et que vous lanciez des vases. - Oh ! Voyons, vous n'oublierez donc jamais cela ? - Non, c'est un des souvenirs auxquels je tiens le plus... le tempérament irlandais perçant sous l'éducation raffinée d'une belle jeune femme du Sud... Vous êtes très irlandaise, n'est-ce pas ?"

 

III DE SCARLETT KENNEDY A SCARLETT BUTLER 

Nous voici arrivés au moment où bascule, non seulement l'histoire de la guerre civile, mais aussi et surtout l'histoire de Scarlett : jusqu'ici, elle n'était qu'un produit de la culture sudiste, une fille à marier, une épouse, une veuve, dont toutes les actions étaient prescrites par une tradition sacro-sainte, et sanctionnées par la force du qu'en-dira-t-on. Mais la voici forcée de s'enfuir d'Atlanta, avec son fils et sa belle-sœur enceinte, pour chercher refuge à Tara, dans la plantation où elles avaient passé leur enfance. Elles vont découvrir un pays dévasté où les armées nordistes pillent et incendient aussi bien les récoltes que les maisons... La demeure des O'Hara n'a pas été brûlée, parce que Gerald, le père de Scarlett, a dit à l'officier nordiste qu'il lui faudrait brûler aussi toute la famille, lui-même, sa femme et ses deux filles, atteintes par la typhoïde, alitées et intransportables : « Le jeune officier était... oui, était un gentleman.(...) Il a fait faire demi-tour à son cheval, il est parti au galop et il n'a pas tardé à revenir avec un capitaine, un chirurgien, qui a examiné les petites, et ta mère. (...) Il avait de l'opium. Nous, nous n'en avions pas. Il a sauvé tes sœurs. Suellen avait une hémorragie. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir. Quand il a dit à ses chefs qu'il y avait des malades... ils n'ont pas brûlé la maison. Un général est venu s'installer ici avec ses officiers... Beaucoup de monde. Ils ont rempli toutes les chambres, sauf celles des malades. » [XXIV, 552] Puis, bien sûr, quand ils sont repartis, « Ils ont abattu les clôtures, ils les ont brûlées pour faire la cuisine, ils ont brûlé aussi les étables et les écuries. Ils ont tué les vaches, les cochons, les poulets, même les pintades (…) Ils ont emporté des tas de choses, même les tableaux... quelques meubles... la vaisselle... » [XXIV, 553]

Scarlett va devenir la maîtresse de maison, parce que sa mère est morte, et parce que son père va retomber en enfance. Elle va, désormais, être obligée de prendre en main sa destinée, et celle de ses proches : c'est une lourde tâche, pour une femme-enfant, qui sera confrontée à de graves problèmes, la plantation est dévastée, les seuls Noirs qui y sont restés sont qui servent à la maison, et ne sont pas plus qu'elle habitués aux tâches de la vie agricole. En outre, elle va bientôt devoir payer les impôts pour cette exploitation agricole qui ne rapporte plus, et qui pourra être mise en vente forcée si elle n'acquitte pas ses impôts.

Nous allons assister à quelques vilenies, rendues inévitables par l'état de nécessité, où Scarlett oubliera ses prétentions à être une dame du monde, une lady : ainsi épousera-t-elle Frank Kennedy, qui était le soupirant de sa sœur Suellen, auquel elle a fait croire que Suellen avait trouvé un autre amant... et c'est ainsi qu'elle pourra payer ses impôts et sauver son domaine de la confiscation...

Elle devient cynique, et c'est alors qu'a lieu la scène bien connue, qui est à peu près le seul souvenir qui me reste du film que j'ai vu il y a bien des années : « La faim la tenailla de nouveau et elle dit tout haut : - J'en prends Dieu à témoin, j'en prends Dieu à témoin, les Yankees ne m'auront pas. Je tiendrai bon, et quand j'aurai surmonté tout cela, je n'aurai plus jamais le ventre creux. Non, ni moi ni les miens. Même si je dois voler ou tuer, tant pis, j'en prends Dieu à témoin, je n'aurai plus jamais le ventre creux. » [XXV, 577 : bien évidemment, mon souvenir de cette scène n'inclut pas, à la lettre, le souvenir de ce serment, que j'ai retrouvé dans le livre]

Nous n'allons pas suivre, pas à pas, l'histoire de cette conversion au cynisme, nous essaierons d'y voir ce qui en fait un apprentissage, et la découverte d'une modernité. Par exemple ceci : « Elle tyrannisait les nègres et mettait ses sœurs au supplice non seulement parce qu'elle était trop occupée et trop épuisée pour faire autrement, mais parce que ça l'aidait à oublier l'amertume qu'elle ressentait, en constatant que tout ce que sa mère lui avait dit de la vie était faux » [XXV, 585]

Elle va même commettre un meurtre, excusable, il est vrai, par la légitime défense, quand elle est agressée par un soldat déserteur et pillard, qu'elle abat, « et soudain elle reprit conscience de la vie, elle fut envahie d'une joie féroce de tigresse. » [XXVI, 594] Elle dissimule son cadavre, car il s'agit d'un soldat Nordiste, en uniforme bleu, et qu'elle à tout à craindre si on l'accuse de rébellion ; par ailleurs, elle trouve sur lui un portefeuille bien garni, « des billets des États-Unis à dos vert, pêle-mêle avec des billets confédérés et au milieu d'eux, jetant un faible reflet, une pièce d'or de dix dollars et deux pièces de cinq dollars en or également. » [XXVI, 597]

Elle va bientôt pouvoir rentrer à Atlanta, et confier la gestion du domaine à un jeune soldat démobilisé, Will Benteen, qui était le fils d'un fermier, et qui s'est révélé capable et avisé ; il deviendra plus tard le mari de Suellen. Scarlett va devenir une femme d'affaires, gérant une scierie, puis deux, qui seront fort actives dans la reconstruction d'une ville où beaucoup d'édifices sont encore faits de planches.

Plus tard, évoquant elle-même le chemin parcouru depuis la chute d'Atlanta, et sa fuite précipitée, elle se rappelle qu'alors « elle n'était qu'une jeune femme gâtée, égoïste, sans expérience, un être plein de jeunesse, aux sentiments tout frais, capable de trouver encore maints sujets d'étonnement dans la vie. Désormais, il ne restait plus rien de cette jeune femme. La faim, les travaux accablants, la peur, ses nerfs perpétuellement tendus, les affres de la guerre et de la Reconstruction lui avaient pris tout ce qu'elle avait de chaleur, de jeunesse et de douceur. », et elle se rendait compte que « pour elle et pour tout le Sud, la guerre ne prendrait jamais fin. » [XXXI, 734]

C'est ici qu'il nous faut être attentifs à ce qui nous paraît être la persistance d'un sentiment « sudiste », car s'il y a lieu de croire qu'elle se sent menacée par les « bootleggers », il serait faux de croire qu'elle reste fidèle aux passions romantiques cultivées avant la guerre. Elle critique férocement ce que pensent les nostalgiques : « En dépit de tout ce qu'ils savent, ils s'imaginent encore qu'il ne leur arrivera rien de véritablement terrible parce qu'ils sont des O'Hara, des Wilkes, des Hamilton. Les nègres eux-mêmes partagent leurs sentiments. Oh ! Les imbéciles ! Ils ne se rendront jamais compte de rien. Ils continueront à penser et à vivre comme ils l'ont toujours fait et rien ne les changera. (Je suis la seule qui ait changé... et je ne l'aurais pas fait si j'avais pu m'arranger autrement. » [XXXII, 743-744]

Quand Scarlett entreprend de gérer la scierie, dont elle a repris le projet à son nouveau mari, Frank Kennedy, c'est parce qu'elle a découvert qu'il n'était pas vraiment doué pour les affaires : en étudiant les comptes du magasin qu'il gère, elle est déçue par sa terrible incompétence : « Quand je pense qu'il a la prétention de faire marcher une scierie, s'indigna soudain Scarlett, Cornebleu ! S'il transforme ce magasin en institution charitable, comment peut-on espérer qu'il gagnera de l'argent en vendant du bois ? (…) J'ai beau ne pas m'y connaître en bois, je parie que je saurais encore mieux faire marcher une scierie que lui ! » : « C'était pour le moins une pensée surprenante. Une femme plus compétente qu'un homme en affaires ! Pensée révolutionnaire pour Scarlett qui avait été bercée dans la tradition que les hommes étaient conscients et que les femmes n'étaient pas trop intelligentes. Bien entendu, elle s'était rendu compte que ce n'était pas vrai du tout, mais elle avait encore l'esprit tout imprégné de cette agréable fiction. Jamais auparavant il ne lui était arrivé d'exprimer par des mots cette idée remarquable. Immobile, le livre épais sur les genoux, la bouche légèrement entrouverte par la surprise, elle songeait qu'au cours des mois de disette elle avait abattu à Tara une besogne d'homme et qu'elle s'en était tirée à son honneur. Dès sa jeunesse, on lui avait inculqué la notion qu'une femme seule ne pouvait rien faire et pourtant, jusqu'à l'arrivée de Will, elle avait dirigé la plantation sans l'aide d'aucun homme. » [XXXVI, 837-838]

C'est alors qu'elle renoue avec Rhett Butler, qui finira par être son dernier mari. Nous n'avons pas voulu retracer leur histoire, et pas même la résumer, chacun pourra la lire dans le roman lui-même. Mais nous voulions cerner le sens de cette histoire, où le cynisme peut s'appeler réalisme, et définit le sens d'une modernité, qu'on pourrait aussi bien dire « individualiste » C'est ce que dit Butler, à qui nous voudrions laisser le dernier mot : « Vous avez simplement cherché à ne pas faire comme les autres femmes, et ma foi vous n'avez pas mal réussi. Comme je vous l'ai déjà dit, la société ne veut pas qu'on se singularise. C'est le seul péché qu'elle ne pardonne pas. Maudit soit celui qui est différent des autres. Et puis, Scarlett, le seul fait que votre scierie marche bien est une injure à tout homme dont les affaires périclitent. Rappelez-vous qu'une femme bien élevée doit rester à son foyer et ignorer ce qui se passe dans le monde brutal des gens laborieux. » [XXXVIII, 918. N'allez pas croire que je souscrive à cette apologie de l'individualisme : la modernité du cynisme ne doit pas nous masquer le cynisme accablant de la modernité. Allez lire, plutôt, le "Traité d'économie hérétique", de Thomas Porcher] Pensée qui est, en effet, fort révolutionnaire, aux antipodes mêmes des traditions « sudistes », auxquelles on aurait tort de réduire la portée de Gone by the wind, ce grand livre émancipateur !

 

POST-SCRIPTUM AUTOCRITIQUE (24 JANVIER 2021)

A première lecture, l'attention du lecteur est pratiquement forcée de se concentrer sur Scarlett et sur Rhett Butler. Elle sera, par là-même, conduite à sous-estimer les autres personnages, et à les juger mal. Cette vision biaisée s'impose aux commentateurs, même s'il leur arrive de s'en apercevoir : c'est pourquoi lorsqu'ils ont pu mettre en perspective une reconstruction plausible du récit, ils auront bien du mal à y intégrer un autre point de vue, qui aurait rendu justice à des personnages "mineurs"... Tout au plus peuvent-ils glisser quelques remarques, qui peuvent attirer le regard du lecteur sur d'autres personnages, qui sont restés dans l'ombre. Mais il n'est guère possible de composer un commentaire polyphonique englobant tous les points de vue : nous nous contenterons d'indiquer quelques pistes, qui pourront suggérer d'autres herméneutiques.

Tout d'abord, on s'en doute, il faut prendre au sérieux le cas de Mélanie, constamment décriée par sa belle-sœur - et rivale - Scarlett : celle-ci la juge constamment sotte et superficielle, incapable de voir qu'elles sont, l'une et l'autre, amoureuses du même homme, de sorte qu'elle serait si facile à tromper, dans tous les sens du verbe "tromper". C'est même ce qu'il semble dans un épisode tardif que nous avons négligé, où Ashley embrasse Scarlett, scène qui est surprise par plusieurs témoins. On s'attend à ce qu'il en résulte un scandale, à la prochaine réunion familiale - et c'est Mélanie, elle-même, qui trouve le moyen de réduire au silence toute dénonciation, avant même d'entendre les explications de Scarlett. C'est là le fait d'une sagesse supérieure, plutôt qu'une conduite de cocu(e) consentant(e) : nous avons voulu croire que les lecteurs pourraient se passer de tout commentaire, et qu'ils sauraient relire tout le rôle de Mélanie avec l'idée qu'elle est aussi fine que Scarlett.

Il faut encore revenir sur un épisode que nous nous sommes bien gardé  d'introduire, celui où est mise en scène une expédition punitive du Ku Klux Klan, qui réplique aux incivilités dont Scarlett a été victime, en se déplaçant seule dans Atlanta, conduisant elle-même une voiture que son cocher, ancien bagnard, avait refusé de conduire, depuis qu'elle employait des condamnés dans ses scieries. Cette expédition punitive se solde par la mort de deux participants, l'un d'eux n'étant autre que Frank Kennedy, le mari de Scarlett... Le scandale est étouffé grâce à l'intervention ingénieuse de Rhett Butler, qui met en scène un duel simulé entre les deux victimes... Là encore, nous avons supposé que les lecteurs sauraient se faire une opinion.

Nous avons donc omis tout ce qui, dans cette œuvre, débordait notre thème - cynisme et modernité -, ne disant rien non plus du troisième mariage de Scarlett, ni du sort malheureux de sa petite fille, qu'on aurait pu croire inspiré de "Barry Lyndon", mais qui est peut-être, en fait une réminiscence des chutes de cheval qu'a vécues, elle-même, l'auteure du roman.   

 

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19 décembre 2020 6 19 /12 /décembre /2020 18:28

SOLON DE TARSE, OU LA VIE DE L'APÔTRE PAUL

 

Cette histoire est une fiction, bien qu'elle se rapporte à un personnage réel, car ce qu'on sait de lui n'est guère connu que par le Nouveau Testament, et par ce qui nous reste du témoignage des Juifs « ébionites ». Comme il y a des contradictions entre ces témoignages, aucun récit ne peut se flatter de rapporter tout simplement « tout ce qui s'est passé, comme ça s'est passé ». Nous croyons toutefois que la critique des sources permettra d'énoncer des hypothèses plausibles, et par là même une « fiction véridique » au sujet de l'apôtre Paul. Faisant appel, bien sûr, à des commentateurs de tendances variées, catholique, ou crypto-catholique, s'agissant de l'historien des Origines du christianisme, Ernest Renan, ou bien israélite, et défenseur des Pharisiens, chez l'auteur de Paul et l'invention du christianisme, Hyam Maccoby [Paris, 1987 traduit de l'anglais The Mythmaker : Paul and the Invention of Christianity, London 1986] chez lesquels nous avons puisé notre information.

Nous sommes parti des sources, pas toujours concordantes, qui figurent côte à côte dans le Nouveau Testament : les Épîtres de Paul, et les Actes de Apôtres. Les Épîtres, on le sait, sont les sources les plus anciennes, même si elles figurent à la suite des Actes, elles ont même précédé la rédaction des Évangiles, qui sont placés en tête du Nouveau Testament, ce qui implique aussi qu'elles aient pu influencer le contenu final et même la doctrine... Or , elles ne disent jamais que Paul fût né à Tarse, ni qu'il fût citoyen de cette antique cité, ni moins encore, en outre, un citoyen romain, et par droit de naissance, informations qui nous sont fournies dans les Actes - et dont le narrateur ne semble pas conscient qu'elles sont incompatibles avec l'idée que Paul, un Juif de pure souche, circoncis le huitième jour, et qui aurait reçu une éducation religieuse très rigoriste, celle des Pharisiens, fût aussi, depuis sa naissance, un citoyen romain : car les cités antiques, et l'empire romain, ne concevaient pas l'appartenance d'un citoyen à une cité sans participation au culte des divinités nationales, par exemple aux sacrifices que les Romains faisaient à la déesse Rome et au divin César...

Comme pour mettre un comble à ces incohérences, Paul s'accuse lui-même d'avoir persécuté les partisans de Jésus, et de l'avoir fait par zèle religieux, étant lui-même un adepte des Pharisiens. Or, en réalité, il est inconcevable qu'un Pharisien ait pu commettre les forfaits que se reproche Paul, et surtout pas celui qui est rapporté dans les Actes, alors que Paul lui-même n'en donne aucun récit : avoir pris part à la lapidation d'Etienne, le premier martyr chrétien, par les serviteurs du Grand Prêtre, qui était le chef des Sadducéens : quoi qu'on pense de ces deux sectes, elles sont constamment opposées. Renan lui-même note que « l'antipathie réciproque de Jésus et des Pharisiens semble avoir été exagérée par les évangélistes synoptiques (…) On ne peut nier que Jacques, le frère du Seigneur, ne soit presque un pharisien. » [Renan, Œuvres complètes, volume IV, p. 554] Et non seulement Jacques, mais Nicodème et Joseph d'Arimathie, celui-là même qui a pris soin de faire enterrer Jésus dans le tombeau qu'il avait fait creuser pour lui-même, étaient des Pharisiens. De sorte que Renan, quand il rappelle, en suivant le récit des Actes, le rôle qui a été celui du jeune Saül, se garde bien de l'appeler pharisien : « Les témoins qui, selon la Loi, devaient jeter les premières pierres, tirèrent leurs vêtements et les déposèrent aux pieds d'un jeune fanatique nommé Saül ou Paul, lequel songeait avec une joie secrète aux mérites qu'il acquérait en participant à la mort d'un blasphémateur. » [Renan, ibid., p. 556]

Mais ce même Renan, quinze pages plus loin [p.570], reprend tous les clichés qui imposent l'image, ou le portrait-robot, de ce Paul qui serait à la fois un citoyen romain, et un juif rigoriste, autrement dit un pharisien : « Paul était né à Tarse, en Cilicie, l'an 10 ou 12 de notre ère. Selon la mode du temps, on avait latinisé son nom en celui de Paul [Hypothèse contestée par Hyam Maccoby, p. 141, qui suggère "Solon", "qui avait une consonance semblable à celle de Saül" ; pour ma part, je préfère "Simon le Magicien" qu'avaient mis en circulation les Ebionites... même si j'ai intitulé ce texte "Solon de Tarse"]. Il ne porta néanmoins ce dernier nom d'une manière suivie que lorsqu'il eut pris le rôle d'apôtre des gentils. Paul était du sang juif le plus pur. » Une note précise que « Les calomnies ébionites ne doivent pas être prises au sérieux », et Renan est si loin de les prendre au sérieux, si imbu de ce qu'on lui avait appris au séminaire, qu'il n'articule même pas l'ombre d'une objection, il croit Paul sur parole... Du moment que Paul l'a écrit dans deux épîtres : « Car je suis moi-même Israélite, de la descendance d'Abraham, de la tribu de Benjamin. » [Romains, XI, 1] et « moi, circoncis le huitième jour, de la race d'Israël de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d'Hébreux ; pour la loi, Pharisien ; pour le zèle, persécuteur de l'Eglise ; pour la justice qu'on trouve dans la loi, devenu irréprochable. » [Philippiens, III, 4-7]

« Or, nous dit Hyam Maccoby, il était aventureux pour n'importe quel juif de cette époque de prétendre avec vraisemblance appartenir à la tribu de Benjamin. Bien qu'une partie de la tribu de Benjamin survécût en Palestine après la déportation des Dix Tribus, par Salmanassar d'Assyrie, les Benjaminites pratiquèrent plus tard l'exogamie avec la tribu de Juda à tel point qu'ils perdirent leur identité séparée et devinrent tous des Judéens, des Juifs. (…) Par conséquent, lorsque Paul se dit « de la tribu de Benjamin », cette assertion n'est qu'une supercherie, quoique les destinataires de ses lettres, des Gentils convertis au christianisme, n'eussent pas été en mesure de le savoir» [Maccoby, p. 140-141.]

Par ailleurs, si l'on prend au sérieux le témoignage des Ebionites, transmis par Epiphane, Paul ne serait lui-même qu'un païen converti : « il vint à Jérusalem et, après y avoir vécu un certain temps, il se prit d'une passion inextinguible pour la fille du prêtre. C'est pour cette raison qu'il se fit prosélyte et se fit circoncire. Mais lorsqu'il fut éconduit par la jeune fille, il en conçut une telle rage qu'il se mit à commettre des libelles contre la circoncision , le sabbat et la Loi » [Epiphane, cité par Maccoby, p. 262] L'anecdote n'est peut-être pas décisive, et elle met en scène un personnage qui n'aurait pas écrit l'épître aux Corinthiens... tout le monde peut changer ! Mais elle nous oblige à voir d'un œil nouveau l'identité de Paul, rendue déjà suspecte par ses palinodies, et par sa prétention à être tenu pour « apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu », sans relever le moins du monde des douze apôtres qui avaient connu Jésus de son vivant. Lui-même, évidemment, estime être envoyé par le Ressuscité, celui qu'il nomme « Christ », comme si c'était un nom, ayant un autre sens que celui que les Juifs donnaient au mot « Messie »...

Question que l'on oublie toujours de se poser quand on lit, dans les Synoptiques, le récit de l'interrogatoire de Jésus, soi-disant par le Sanhédrin, qu'on ne voit pas délibérer, ni voter. Seul parle le Grand Prêtre, qui l'interroge en ces termes « Je t'adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es, toi, le Messie, le Fils de Dieu ». Question à double sens, car le Messie veut dire l'oint du Seigneur, c'est-à-dire le Roi des Juifs, et c'est alors une question politique, car elle met en cause l'autorité romaine. Alors que « Fils de Dieu », qui pourrait être pris de façon innocente, comme dans la formule « Heureux les pacifiques, ils seront appelés fils de Dieu », peut aussi être entendu dans un sens théologique, qui implique un blasphème, et c'est ainsi, d'ailleurs, que le Grand Prêtre entend la réponse de Jésus [Matthieu, XXVI, 63] : « Qu'avons-nous encore besoin de témoins ! Vous venez d'entendre le blasphème ; quel est votre avis ? » Mais ce récit doit être une forgerie pure et simple, car il est impensable, s'agissant du Sanhédrin, que tous soient du même avis, et qu'ils puissent, comme un seul homme, répondre, sans avoir débattu, « Il mérite la mort ». Il s'agit bien d'une parodie de justice, et nullement d'un acte du Sanhédrin, comme le prouve la comparaison qui s'impose, avec les deux procès que rapportent les Actes, celui où le Sanhédrin doit juger les apôtres, et où ils sont défendus par le Pharisien Gamaliel [V, 17-42], et celui où c'est Paul qui est sur la sellette, et où il dit « Frères, je suis Pharisien, fils de Pharisien ; c'est pour notre espérance, la résurrection des morts, que je suis mis en jugement », ce qui a pour effet « qu'un conflit s'éleva entre Pharisiens et Sadducéens, et l'assemblée se divisa. Les Sadducéens soutiennent en effet qu'il n'y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, tandis que les Pharisiens en professent la réalité » [XXIII, 6-8] Ainsi, au gré des circonstances, la conduite et les propos de Paul peuvent tantôt servir à diffamer les Pharisiens, comme fanatiques et persécuteurs, tantôt à faire valoir la croyance commune qu'ils partagent avec les Nazaréens, contrairement aux prêtres Sadducéens (car, à ce moment là, les partisans de Jésus ne constituent pas encore une Eglise nouvelle, une religion nouvelle, ils participent encore aux cérémonies du Temple, pratiquant le sabbat, les interdits alimentaires et la circoncision : les Pharisiens peuvent donc faire cause commune avec eux, face au clergé Sadducéen.)

Ces exemples démontrent que ni Jésus, ni Etienne, n'ont été jugés et condamnés de façon régulière, et que, dans les deux cas, il ne s'agissait pas d'un procès religieux, il s'agissait d'un règlement de compte politique, tranché par les Romains, dans le cas de Jésus, dont la croix portait le fameux INRI, qui explique le sens de son exécution : « Jésus de Nazareth Roi des Juifs ». Dans le cas d'Etienne, ce n'est plus qu'un assassinat, un lynchage commis, dans l'intérêt de Rome, par une autorité qui collabore avec le procurateur romain (qui détient seul le droit de condamner à mort). Tout ceci nous éclaire sur ce qu'a été Paul, avant sa conversion sur le chemin de Damas : « Si Saül était employé par le Grand Prêtre pour arrêter des gens et les jeter en prison, ce ne pouvait être que pour une seule raison : que Saül était un membre de la police du Grand prêtre et que son travail consistait à arrêter toute personne qui représentait une menace pour l'occupant. La dernière personne affectée par le Grand prêtre à une telle mission eût été un Pharisien. Saül était tout, sauf un Pharisien » [Maccoby, p. 91]

RETOUR DE DAMAS : L'APOSTOLAT DE PAUL

 

Savons-nous vraiment ce qui a eu lieu à Damas, s'agit-il d'une conversion, d'une illumination, ou bien de l'invention d'une nouvelle foi ? Ce qu'en dit Paul lui-même est assez différent du récit qu'en fera, assez longtemps après, l'auteur des Actes des Apôtres, qu'on croit être l'auteur du troisième évangile, celui qu'on nomme Luc.

S'il faut en croire Paul, après l'apparition de « Christ » ressuscité, et sa réception par les chrétiens de Damas, « il reçut le baptême presque aussitôt. Les doctrines de l’Église étaient si simples qu'il n'eut rien de nouveau à apprendre. Il fut sur-le-champ chrétien et parfait chrétien. De qui d'ailleurs aurait-il eu à recevoir les leçons ? Jésus lui-même lui était apparu. Il avait eu sa vision de Jésus ressuscité, comme Jacques, comme Pierre. C'était par révélation immédiate qu'il avait tout appris. La fière et indomptable nature de Paul reparaissait ici. Abattu sur le chemin, il voulut bien se soumettre, mais se soumettre à Jésus seul, à jésus qui venait de quitter la droite de son Père pour venir le convertir et l'instruire. Telle était la base de sa foi, tel sera un jour le point de départ de ses prétentions. Il soutiendra que c'est à dessein qu'il n'est pas allé à Jérusalem aussitôt après sa conversion pour se mettre en rapport avec ceux qui étaient apôtres avant lui ; qu'il a reçu sa révélation particulière et qu'il ne tient rien de personne ; qu'il est apôtre comme les Douze, par institution divine et par commission directe de Jésus ; que sa doctrine est la bonne, quand même un ange dirait le contraire. » [Renan, pp. 583-584]

Nous pouvons déjà pressentir les dissensions futures, dans la communauté « judéo-chrétienne » qu'on appelle couramment l’Église de Jérusalem : les fidèles de Jésus n'ont pas encore rompu avec le judaïsme, ils participent aux rites et aux cérémonies du Temple, et ne se distinguent encore de l'ensemble des autres Juifs que par leur croyance à la résurrection de Jésus. Ils sont encore loin des dogmes qui seront énoncés dans le Symbole de Nicée, qu'on appelle abusivement « Symbole des Apôtres ».

Renan est amené à découvrir chez Paul une préfiguration de Luther, tant « sa hardiesse, sa force d'initiative, sa décision vont être un élément précieux à côté de l'esprit étroit, timide, indécis, des saints de Jérusalem ! Sûrement, si le christianisme fût resté entre les mains de ces bonnes gens, renfermé dans un conventicule d'illuminés menant la vie commune, il se fût éteint comme l'essénisme sans presque laisser de souvenir. C'est l'indocile Paul qui fera sa fortune, et qui, au risque de tous les périls, le mènera hardiment en haute mer. A côté du fidèle obéissant, recevant sa foi sans mot dire de son supérieur, il y aura le chrétien dégagé de toute autorité, qui ne croira que par conviction personnelle. Le protestantisme existe déjà, cinq ans après la mort de Jésus ; saint Paul en est l'illustre fondateur. Jésus n'avait sans doute pas prévu de tels disciples ; ce sont eux peut-être qui contribueront le plus à faire vivre son œuvre, et lui assureront l'éternité. » [Renan, p. 584]

 

Archaïsme ou modernité ?

 

S'il est incontestable que Renan saisit bien la modernité de la position paulinienne, il est bien moins sensible à l'authenticité de l'enseignement de Jésus, qui est peut-être faussé par l'attitude « indocile » de Paul : est-ce encore Jésus qui s'exprime par la bouche de Paul, et qui se voit ainsi assurer l'éternité ? L'enseignement de Paul introduit dans la foi chrétienne non seulement l'idée que Jésus  "Fils unique du Père, né du Père avant tous les siècles, engendré, non créé, consubstantiel au Père", n'est pas seulement un homme, mais un Homme-Dieu, « qui pour nous autres hommes et pour notre salut, est descendu des cieux », comme dit justement le "Symbole des Apôtres", dans le but de sacrifier sa vie pour le rachat des péchés des hommes, ce qui restaure une conception sacrificielle très répandue dans le monde païen, dans les religions à mystère, qui célèbrent des dieux qui meurent et qui ressuscitent, et c'est cela qui dénature l'héritage hébraïque des Eglises chrétiennes.

Tel est justement le souci qu'exprime Hyam Maccoby : « Lorsque Saül, au cours de sa mission policière, examina les fondements de la foi des disciples de Jésus, il dut éprouver un choc en y reconnaissant son origine païenne. Là encore, là où il le soupçonnait le moins, apparaissait la figure qui l'avait ému lorsqu'il était enfant, malgré les avertissements de ses parents « craignant Dieu » : la divinité morte et ressuscitée, toujours la même sous toutes ses appellations et multiples avatars, que ce fussent Attis, Adonis, Osiris ou Baal-Taraz. Liée à l'adoration de cette divinité omniprésente, se faisait jour une expérience profondément émotionnelle : celle de mourir et de renaître avec cette divinité, comme son agon était représenté dans des cérémonies dramatiques et extatiques »[Maccoby, pp. 146-147]

Et c'est précisément ce que Paul met en œuvre dans le récit qu'il donne de la « Cène du Seigneur », dans une épître plus ancienne que toute narration évangélique du dernier repas de Jésus avec ses disciples : « Moi, voici ce que j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : Ceci est mon corps qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. »[ I Corinthiens, XI, 23-25]

Et Maccoby souligne que « Ce passage indique clairement que c'est Paul lui-même qui créa et institua l'Eucharistie, à la fois comme concept et comme institution de l’Église Car Paul dit clairement que l'Eucharistie était fondée sur la révélation qu'il eut lui-même : « Voici ce que j'ai reçu du Seigneur et que je vous ai transmis. » [Maccoby, p. 161]

C'est à peu près la même histoire qui est rapportée dans les Synoptiques, mais il est clair qu'ils en parlent d'après Paul, alors que le quatrième évangile n'en parle pas : ce n'est pas dire que Jean ne partage pas la conception paulinienne du sacrifice messianique pour la rémission des péchés, car elle est exposée, de façon encore plus brutale, dans le sermon qu'il prête à Jésus, et qui donnera lieu aux premières défections... [Jean, VI, 53-58]

Pendant les années de voyage où Paul , apôtre des Gentils, va fonder de nouvelles Églises en Orient et en Grèce, l'Eucharistie deviendra le rite essentiel de son culte, alors qu'elle reste inconnue dans "l’Église de Jérusalem" : on lira dans les Actes les traces de ces divergences, puis de ces dissensions, et de plusieurs tentatives de replâtrage, dont Paul, dans l'épître aux Galates, donne un compte-rendu très personnel , aussi personnel que le récit d'ensemble des rapports qu'il a eus, au long de ces années, avec Jacques, avec Pierre, tous ceux qui avaient suivi la prédication de Jésus : on croirait qu'il explique le « partage du monde » qui aurait eu lieu, dit-on, à la conférence de Yalta, entre Staline, Roosevelt et Churchill : « Ils virent que l'évangélisation des incirconcis m'avait été confiée, comme à Pierre celle des circoncis, car celui qui avait agi en Pierre pour l'apostolat des circoncis, avait aussi agi en moi pour l'apostolat des païens... » [Galates, II, 7-8] Telle n'est pas la version que proposent les Actes, et qui dissimule, autant que possible, la portée des dissensions, s'efforçant de « sauver les apparences », dans le clair-obscur de l'union indissoluble qui permettra, un jour, de commémorer, comme un seul et même martyre, la double exécution des Apôtres ennemis...

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11 décembre 2020 5 11 /12 /décembre /2020 10:11

CASTORIADIS EN 2020

 

L'année 2020 a vu l'achèvement d'une publication qui a été retardée plusieurs fois : celle des « écrits politiques » de Cornelius Castoriadis, aux Editions du Sandre. Voici donc les derniers volumes, dont l'un (« La Dynamique du Capitalisme ») était déjà programmé en 1973, en édition de poche, dans la collection 10-18, où j'ai moi-même découvert la pensée de Castoriadis, et même son nom, car j'avais déjà lu, en 1968, un livre sur « Mai 68 : la Brèche », publié par Edgar Morin, Claude Lefort et un certain « Jean-Marc Coudray », dont j'ignorais bien sûr l'identité réelle.

Cette fameuse « Dynamique » était l'un des articles publiés autrefois dans « Socialisme ou. Barbarie ». Je n'avais jamais eu l'occasion de la lire, car elle n'est pas sortie dans la collection 10-18, et même quand j'ai lu, dans la revue « Textures », un texte qu'on retrouve dans le premier volume des « Carrefours du Labyrinthe » en 1978, j'ignorais qu'il faisait partie des développements issus, précisément, de cette Dynamique. Quelqu'un qui le savait, et qui en a parlé dans la Revue du MAUSS semestrielle, en l'an 2000 (n°15), c'est Pierre Dumesnil : « Sur la loi de la valeur, précisément, qui prétend résoudre la question de la mesure en économie, la position de Castoriadis est amplement et magistralement développée dans son texte « Valeur, égalité, justice, politique : de Marx à Aristote et d'Aristote à nous ». [1978] Je ne peux qu'y renvoyer, comme à ses autres textes « économiques » (ce découpage devant bien sûr être utilisé avec prudence) n'ayant pas pour intention d'en fournir une mauvaise paraphrase sous couvert d'exégèse. »[RMS, n° 10, « Penser l'économie avec Cornelius.Castoriadis », p.173]

Le tout premier article, « Sur la dynamique du capitalisme » était paru dans S ou B en août 1953, dans le même numéro où Castoriadis commentait la polémique ouverte entre Sartre et Lefort. Dans la notice qui le présente, Enrique Escobar nous dit que c'est « un texte-charnière où l'on trouvera aussi bien une rupture avec des aspects essentiels de l'économie marxienne que des points de départ pour le travail futur », mais il s'inscrit toujours dans une orthodoxie marxiste, car il défend l'idée que « la préoccupation qui domine d'un bout à l'autre Le Capital est de montrer comment le fonctionnement même du capitalisme tend en fin de compte à détruire les conditions de son existence. » [DCIG, p. 43 : j'emploie les mêmes sigles qu'Escobar]

Dans sa correspondance avec Claude Lefort, qui figure dans le tome 7, Castoriadis demande à celui-ci, qui enseignait alors au Brésil, ce qu'il a pensé du n° 12 : « Le numéro a eu un relatif succès, à cause du papier sur Sartre ; cela nous a valu pour la première fois une mention honorable dans l'Observateur et, hélas, dans Preuves, qui en a publié des extraits. Je sais que ce papier a plu aux gens qui nous sont plus ou moins proches, mais je ne sais rien des autres. La seule fois que j'ai vu Merleau (il n'a pas quitté sa mère pendant qu'elle était malade et depuis qu'elle est morte il ne sort guère) il m'a parlé du n° 12 pour me dire qu'il avait trouvé mon texte économique très intéressant, mais n'a pas dit un mot du papier sur Sartre. » [EPCC, p. 218] Mutisme surprenant, s'agissant d'une querelle que Merleau-Ponty avait prise à cœur et qui l'a, finalement, conduit à rompre lui-même avec Sartre, mais il est remarquable qu'il ait apprécié le « texte économique » dont Enrique Escobar nous apprend « la perplexité que le texte a suscitée dans le groupe » et qui a « fait comprendre à Castoriadis que la revue n'était pas le cadre le plus approprié pour sa publication »...

Comme Pierre Dumesnil, j'éviterai moi-même de fournir une mauvaise paraphrase sous couvert d'exégèse, mais il n'est pas question de cacher la rupture finale de Castoriadis avec ce qu'il faut bien nommer, sans intention péjorative, la métaphysique de Marx, attaché à saisir la « substance » de la Valeur, et à l'identifier au « temps de travail socialement nécessaire » : s'agit-il du temps de travail qui est nécessaire dans l'entreprise la plus performante, ou dans celle qui dispose d'une technologie arriérée, s'agit-il d'une « moyenne », et celle-ci peut-elle être calculée dans une économie dont la technologie ne cesse de changer ? « Mais un capitalisme à technologie statique est une pure fiction, et ce n'est pas celui qui est visé dans Le Capital, où l'on examine ce qui se passerait dans un capitalisme régi par la loi de la valeur ; et dominé par un bouleversement perpétuel de la technique » (DCIG, p.177) En fin de compte, « C'est l'auteur du Capital, non celui de la Métaphysique qui est, dans cette affaire, le métaphysicien. » [DCIG, p.220]

POST-SCRIPTUM : UN « ECRIVAIN POLITIQUE »

 

Je voudrais revenir, des deux volumes publiés en 2020, aux tout premiers volumes publiés huit ans plus tôt, et qui avaient lancé cette réédition : « La question du mouvement ouvrier I et II ». Les éditeurs, sous ce titre, reprenaient l'essentiel des textes publiés dans la collection 10-18, sous un titre assez proche (L'expérience du mouvement ouvrier) : ils déplaçaient toutefois le texte introductif, comme ils allaient le faire pour l'introduction générale ajoutée par Castoriadis au premier volume de la collection 10-18, « La société bureaucratique » : ces deux textes allaient prendre place dans un autre volume, publié en 2013 « Quelle démocratie ? », dont le titre est emprunté à une conférence faite par Castoriadis à un colloque de Cerisy. Par ailleurs, plusieurs textes étaient eux-mêmes renvoyés à la fin du volume, où ils devenaient des « annexes » : décision judicieuse, répondant au fait que l'intérêt du public s'était sans doute déplacé, entre 1973 et 2013, vers d'autres thèmes que « le Parti révolutionnaire » ou la version hégélo-marxiste d'une « Phénoménologie de la conscience prolétarienne » : il ne s'agissait pas d'évacuer ces textes, mais d'en retarder la lecture... Il en résultera que le tout premier texte proposé aux lecteurs se trouve être un de ceux qu'avait forcément lus Maurice Merleau-Ponty dans le n° 12 de Socialisme ou Barbarie, c'est le « papier sur Sartre », dont nous reparlerons.

Mais l'ouvrage lui-même est d'abord introduit par un texte d'Enrique Escobar, « Castoriadis, écrivain politique (I) », qui sera complété dans « Quelle démocratie ? » : Castoriadis étant surtout connu sous plus d'une casquette : comme philosophe, économiste et psychanalyste, il fallait s'expliquer sur des textes qui n'avaient « de rapport que très indirect avec la production ordinaire des praticiens de ces trois disciplines ». Fallait-il donc y voir les travaux d'un « sociologue » , ou d'un « politologue », voire d'un « soviétologue » ?

« Nous n'avons pas ici affaire à des textes « savants », quel que soit le degré de technicité de certaines analyses ou la nature des références utilisées. Ils supposent en effet un type de rapport particulier avec un certain public (…) qui n'est pas celui des « collègues », des « pairs » parmi lesquels on est admis après avoir suivi un parcours canonique ; donnant droit à une légitimité dans un certain milieu.(...) Nous n'avons plus de mot immédiatement intelligible pour désigner ceux qui réfléchissent sur la société et veulent,en dehors de tel ou tel cadre établi, l'influencer de façon plus ou moins directe. (…) C'est pourtant ce que faisaient très exactement, parmi tant d'autres, les auteurs du Prince, du Deuxième Traité du gouvernement civil ou du Manifeste communiste. (…) Ecrivain politique est sans doute le terme le plus juste pour ce genre d'auteurs (...) » [ QMO 1, p. 16-17]

C'est là, précisément, le terme qui convient à l'article brillant , implacable, et aussi complet que possible qui s'intitule « Sartre, le stalinisme et les ouvriers », qui est à la fois brillant d'une ardeur juvénile, implacable à l'égard des sophismes de Sartre, et complet en ce sens qu'il traite tous les thèmes d'une politique révolutionnaire (qui se voulait encore marxiste) opposée au stalinisme autant qu'au réformisme. Sa méthode est d'ailleurs de prendre Sartre au piège de ses contradictions foisonnantes, lui qui parle à la fois du « finalisme honteux qui se cache sous toutes le dialectiques » tout en disant que « Marx nous a fait retrouver le « temps vrai de la dialectique » : « Est-ce que toute dialectique cache un finalisme honteux, ou est-ce que la dialectique marxiste n'en cache pas ? ». Ce même Sartre qui « prend soin d'indiquer qu'il n'est pas d'accord avec le PC (sans dire sur quoi) ; qu'il serait cependant possible de conclure avec le PC des accords sur des points précis et limités (lesquels ? Et qui serait le deuxième contractant ? ; et, en fin de compte, il laisse entendre qu'il souhaite « une gauche indépendante et en accord avec le PC »...

Là encore, j'aime mieux éviter de fournir une mauvaise paraphrase sous couleur d'exégèse, car c'est vraiment un texte qui se suffit à lui-même.

 

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20 novembre 2020 5 20 /11 /novembre /2020 07:44

Dans un texte inédit, qui vient d'être publié récemment dans la monumentale édition des "écrits politiques" de Cornelius Castoriadis (tome VII, Ecologie et politique, p. 385-393), j'aimerais discuter le passage suivant : "Je ne connais qu'une "essence" du social-historique : la création - soit, évidemment, quelque chose de radicalement hétérogène à tout ce que la philosophie a appelé "essence". Création, autocréation, auto-institution de la société. Non pas simple "indétermination" : l'indétermination n'est que privation de la détermination, parler simplement d'indétermination c'est rester prisonnier de l'ontologie héritée, asservie à l'idée de l'Etre comme déterminité (pleine, défectueuse ou à la limite nulle). (De même que le terme et l'idée d'"athée" est un terme et une idée théologique, expression de l'impérialisme de la religion. Je ne suis pas "athée", ce sont les croyants qui sont quelque chose de particulier et d'étrange, qui a besoin d'un nom spécifique : ils sont thées ou pro-thées.)" (page 386)

Je partirai de la parenthèse finale : pourquoi Castoriadis tient-il à préciser qu'il n'est pas un "athée", voulant dire par là qu'il n'éprouve pas le besoin de se définir par rapport à une notion qui aurait "quelque chose de particulier et d'étrange", et qui aurait besoin d'un "nom spécifique" - un nom qui existe, en fait, et qui est même courant : "théiste", ou "déiste" ?  Ne tomberait-il pas dans un nouvel académisme, une nouvelle forme de purisme lexical, comme celle qu'il avait lui-même critiquée, dans le cas du mot "socialisme", quand on cherche à le distinguer du "socialisme réellement existant" qui était celui de Brejnev, et à lui opposer son sens "originel" ? Dans l'usage courant, l'emploi du mot "athée" n'implique pas vraiment la présupposition d'une théologie ; son usage effectif implique même la négation de croyances qui ne sont pas forcément liées au théisme, comme l'existence des fantômes, vampires et autres morts-vivants, ou la croyance  des "astrologues" pour qui notre destin serait écrit dans la configuration des étoiles... tout ce qui était compris, dans l'idéologie des Lumières, sous le nom  de "superstition".

On pourrait supposer que cette parenthèse est là pour renforcer la critique d'un terme cher à Claude Lefort, "indétermination". Nous savons en effet que, dans sa recherche philosophique d'une essence de la démocratie, Lefort avait soutenu qu'elle se définit par  l'indétermination du pouvoir, ou de la place du pouvoir. C'était une façon d'interpréter ce qu'explique Jean-Pierre Vernant pour la démocratie athénienne : quand le démos athénien se rassemble dans l'ecclésia pour délibérer sur les affaires publiques, le pouvoir légitime n'est pas localisé dans la personne des magistrats, il demeure "en mésô", "au milieu". Autrement dit, le pouvoir n'est pas approprié par un homme, ni par un corps de magistrats, pas plus qu'il n'appartient à une famille, à une caste, ou une église (même si le mot "église" dérive d'ecclésia). Lefort ne le dit pas, mais on dirait bien mieux en définissant la démocratie comme un "communisme" du pouvoir, c'est-à-dire une société où le pouvoir ne peut être l'objet d'une appropriation, parce qu'il se constitue comme un bien commun, auquel tous participent, et qu'ils ne partagent pas. Le problème est alors de bien délimiter ce qui est participable, ce qui est partageable, et même ce qui peut être approprié en privé (le communisme du pouvoir n'étant pas forcément communisme intégral).

 Et bien sûr, avant tout, ce que vise Castoriadis, c'est la domination de "l'ontologie héritée", celle-là même qui définit des essences, qui définit la "création" comme l'apanage d'êtres surnaturels, créant à l'origine ce qu'on appelle "nature" et qui est "déterminé", réduisant par là-même l'indétermination à une incomplétude... A laquelle il oppose que c'est l'homme, la société humaine, qui s'auto-institue, qui se crée ou qui s'auto-crée, en créant la démocratie qui n'est pas une "essence", et qui n'est certes pas inventée par des philosophes, mais par ce qu'il appelle "collectif anonyme".  On ne saurait trop insister sur l'importance de ce texte, qui développe une réflexion sur les interprétations de la "société primitive" qui circulaient, à l'époque de sa rédaction, dans des milieux très proches de Castoriadis, y compris dans la revue "Libre", avec des textes de Pierre Clastres, pour qui les sociétés "préhistoriques" ignoraient toute division de la société en classes antagonistes : elles n'en étaient pas moins, selon Castoriadis, des sociétés hétéronomes, comme "toutes les sociétés connues"... et cela vise, incidemment, les théorisations de Gilles Deleuze et Félix Guattari, ainsi que les travaux d'ethnologues marxistes sur les sociétés de la préhistoire. 

PS Dans le même volume VII, figure un bon échantillonnage de "correspondances", qui est souvent très instructif sur les échanges épistolaires de CC : certaines lettres nous apportent des informations épisodiques qui n'y auraient pas figuré si le destinataire était resté assez proche, par exemple certaines lettres à Claude Lefort, lorsque celui-ci enseignait au Brésil, nous apprennent,  que CC a rencontré Merleau-Ponty (on est en 1954), et que celui-ci avait apprécié un article de socialisme ou barbarie (en fait, le premier de la série "sur la dynamique du capitalisme"), mais qu'il ne lui a pas dit un mot sur un autre article du même numéro, concernant la polémique entre Lefort et Sartre... qu'il avait forcément lu, et qui n'est pas sans rapport avec le livre que Merleau publie l'année suivante, "Les Aventures de la Dialectique" - à la dernière page duquel il évoque "un marxiste de mes amis" qui n'est autre que CC. Dans une autre lettre, il signale à Lefort le livre de Lyotard sur la Phénoménologie, où Lefort est abondamment cité, y compris pour la "déshonorante réponse à Lefort" commise par Jean-Paul Sartre (c'est moi qui ajoute ce détail, il n'est pas signalé dans la lettre ; je l'ajoute surtout parce que les éditions ultérieures de ce livre atténueront la formulation de Lyotard, qui deviendra "la consternante Réponse à Lefort"...) Beaucoup de ces lettres sont d'ailleurs polémiques, et il arrive qu'on n'y mâche pas ses mots ! Je vous laisserai les découvrir par vous-mêmes.

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