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22 mars 2010 1 22 /03 /mars /2010 09:32

Projet de « Livre blanc » pour la Région Catalane : introduction publiée en novembre 1982 dans le bulletin de l’URC (Union pour la région Catalane)

 

 

La réforme régionale, entreprise trois fois en moins de quinze ans (1969-1972-1981) correspond beaucoup moins à un choix délibéré de la part des gouvernements successifs, qu'à une nécessité profonde qui se fait jour dans toutes les sociétés modernes, et qui prend un caractère impérieux, pressant, parfois même explosif, dans l'État le plus centralisé d'Europe occidentale.

Les intendants de l'Ancien Régime, puis les préfets de Napoléon, qui ont assuré la continuité de l'État central à travers les révolutions et les changements de régime, ont fait de la France un modèle d’État Centralisé, qui a même eu ses imitateurs, lorsque la centralisation semblait se confondre avec le progrès : c'est ainsi que la division territoriale de la France en départements a servi de modèle, en 1833, aux libéraux espagnols, qui ont divisé le royaume d'Espagne en "provinces", administrées par des "gouverneurs civils". En Espagne aussi bien qu'en France, cette division territoriale remplissait la même fonction, et exprimait la même conception de l’État. Il s'agissait de morceler et de recomposer les anciennes divisions territoriales, traitées comme des vestiges féodaux, alors qu'elles correspondaient à des réalités humaines, ethniques et culturelles, qu'il n'a d'ailleurs pas été possible d'effacer définitivement de la mémoire et du cœur des hommes vivants,

Dans la France jacobine, il n'y avait plus de Bretagne, de Bourgogne ou de Languedoc, mais des départements dont le nom n'évoquait plus aucune référence à l'histoire humaine : "Haute-Garonne", "Aude" ou "Hérault", "Hautes-Pyrénées", "Basses-Pyrénées" ou "Pyrénées-Orientales", ce sont des noms de rivières ou de montagnes qui désignent (aujourd'hui encore) les nouvelles "circonscriptions" administratives. A l'époque où la France croit pouvoir se délimiter dans le cadre de "frontières naturelles" (la rive gauche du Rhin, les Alpes, les Pyrénées), c'est la géographie physique qui préside au découpage territorial.

Ce mépris des réalités humaines et culturelles sera poussé encore plus loin, lors du découpage des conquêtes coloniales en territoires aux contours géométriques, coïncidant avec tel ou tel degré de latitude et de longitude. L’État, ou l'Empire, se représente alors comme un ensemble homogène, indifférent à la diversité historique des populations qui coexistent sur son territoire, et prétend appliquer partout les mêmes lois, les mêmes mesures, les mêmes principes d'organisation.

Bien sûr, la réalité résiste, elle a toujours résisté aux constructions idéologiques : les Bretons et les Auvergnats, les Basques et les Catalans, les Corses et les Alsaciens, n'ont pas cessé d'être eux-mêmes, sous prétexte que l’État ignore leur identité. Mais ils ont été amenés à subir et à accepter eux-mêmes une profonde dégradation de cette identité : s'ils ont continué à s'exprimer dans leur langue, on a su leur faire honte de ce "patois" tout juste adapté aux besoins de la vie rurale, mais incapable d'exprimer les grandes vérités universelles de la science et de la philosophie modernes... Les "provinciaux" ont appris à se regarder eux-mêmes avec le regard condescendant que portent sur eux les citadins de la Ville-Lumière. Ce sont des écrivains de souche occitane, Alphonse Daudet ou Marcel Pagnol, qui ont répandu l'image folklorique et caricaturale du "Méridional" : Tartarin, Marius, ou Escartefigue... Les idéologues du régionalisme ont développé une représentation nostalgique, qui exaltait les vertus d'une paysannerie en déclin pour mieux dénoncer l'inhumanité de la société moderne. Ils renonçaient ainsi à concevoir les moyens par lesquels leur identité régionale pourrait s'adapter au monde moderne, et s'exposaient à ne "maintenir" qu'une culture fossile, témoin d'un âge révolu.

La croyance en un "Progrès" automatique et ininterrompu, qui a dominé le deux derniers siècles, s'accordait fort bien avec cette confusion du régionalisme et de l'archaïsme, et l'on se heurte encore aujourd'hui à des réactions caractéristiques de gens pour qui le "régionalisme" (la revendication d'une identité régionale) constitue une régression, un retour au Moyen Age et au morcellement féodal.

Ce "progressisme" rudimentaire se représente l'histoire humaine comme une lente évolution vers l'unification du globe terrestre. Autrefois, les provinces ; hier, l'unité de l'Etat-Nation ; aujourd'hui, l'unification européenne ; demain... Inutile de rappeler que le morcellement féodal succédait à l'Empire romain, c'est-à-dire à l'unification politique et militaire du monde méditerranéen. Ces "progressistes" ignorent l'histoire réelle, et leur porte-parole, Jean Ferniot, à l'émission "Droit de réponse" développait ce raisonnement avec l'assurance d'un clerc qui n'a jamais été effleuré par le doute. Je suis jacobin, disait-il, faute de mieux ; je tiens pour l'unité française, comme je défendrais l'unité européenne, et mieux encore, l'unité mondiale si elles étaient réalisées. Il doit pourtant se rappeler que l'unité européenne a failli se faire, vers 1940, sous l'égide du IIIème Reich, et ce n'est certes pas l'Europe de ses rêves ; l'unité de l'Europe, comme celle du monde, ne saurait être un bien, si elle consiste à imposer à tous les autres peuples la langue, la culture et les intérêts d'un "peuple de seigneurs". L'Europe ne sera un progrès que si elle permet le libre développement et la communication réciproque de tous les peuples qui s'y seront associés. Une Europe fédérale, une Europe des ethnies... Qu'il s'agisse de l'Europe, du monde occidental, ou de l'humanité toute entière, il est facile de comprendre que le progrès ne consiste pas dans l'assimilation de toutes les cultures à un seul modèle dominant : ni cet "american way of life" qui a justifié l'escalade au Vietnam et l'installation de dictatures militaires un peu partout dans le "monde libre", ni ce prétendu socialisme que l'U.R.S.S. s'efforce d'imposer, par la force des armes, aux Afghans et aux Polonais.

Mais qu'est-ce qui empêche le Français jacobin de reconnaître que la "patrie des droits de l'homme" est aujourd'hui très mal placée pour donner des leçons d'universalisme et de civilisation ? Presque tous les pays qui l'entourent ont reconnu le droit à la différence, la possibilité pour chaque groupe ethnique ou culturel de développer librement sa propre civilisation. Comparées aux institutions des autres pays européens, les réformes successives de Georges Pompidou et de François Mitterrand sont de timides (et tardives) mises à jour : la France, qui croyait éclairer les autres pays, est aujourd'hui en train de découvrir le retard qu'elle doit rattraper.

La récente loi "sur les libertés des communes, des départements et des régions" (promulguée le 2 Mars 1982), si elle transfère aux collectivités locales un certain nombre de compétences jusqu'alors détenues par l’État, constitue certes une première rupture avec le centralisme napoléonien. En revanche, elle ne rompt nullement avec la conception jacobine de l’État ; le jacobinisme n'est pas la centralisation(Richelieu et Louis XIV étaient beaucoup plus centralisateurs que Robespierre, et ce n'est pas Robespierre qui a inventé les préfets, ni leur droit de tutelle sur les assemblées élues). Le jacobinisme, c'est la conception d'un État qui se veut homogène, qui prétend se fonder sur la volonté générale, et qui refuse de tenir compte des réalités historiques qui ont précédé sa propre constitution.

Dans une certaine mesure, le découpage actuel des régions fait sans doute revivre quelques unes des anciennes provinces, auxquelles on a rendu le nom qui leur était propre : Alsace, Bretagne, Poitou, Languedoc ou Provence. Mais la Bretagne est encore amputée du Pays Nantais, le Poitou est rattaché aux Charentes, la Provence est augmentée de la "Côte d'Azur"... (il n'y a pas si longtemps, c'était la région «Provence-Côte-d

’Azur-Corse»). Quant au "Languedoc-Roussillon", il regroupe de façon artificielle une partie de l'ancien Languedoc (Toulouse en est exclue, et sert de capitale à la région "Midi-Pyrénées") et l'ancienne province du Roussillon, c'est-à-dire l'ensemble des terres catalanes incorporées au royaume de France par le traité des Pyrénées (Roussillon proprement dit, Vallespir, Marenda, Conflent, Capcir, et une partie de la Cerdagne).

On assiste ainsi à ce paradoxe : alors que l'identité du pays catalan est restée à peu près intacte, dans le cadre d'un département qui incluait, certes, le Fenouillèdes occitan, elle se trouve aujourd'hui gravement menacée dans le cadre d'une région "Languedoc-Roussillon" où le pays catalan ne peut être autre chose qu'une zone périphérique. Depuis la réforme de 1972, qui a mis en place les premiers conseils régionaux, le pouvoir régional installé à Montpellier a constamment fonctionné à l'encontre des intérêts du pays catalan qu'il a régulièrement frustré des possibilités de développement qui se sont présentées à lui.

La réforme actuelle va encore augmenter les compétences du Conseil Régional au détriment de celles des Conseils généraux. La planification, le choix économiques fondamentaux, l'aménagement du territoire, tout cela se décidera à Montpellier, aussi longtemps que le Roussillon (la Catalogne-Nord) continuera d'être rattaché(e) à cette capitale régionale, qui lui est au moins aussi étrangère que Paris et Toulouse (en fait, les relations commerciales que le Roussillon entretient avec Toulouse et Paris sont bien plus importantes que celles qu'il entretient avec Montpellier).

La loi du 5 juillet 1972, qui avait créé les régions actuelles avait pourtant prévu la possibilité d'un découpage différent. Elle avait fixé un délai (dont le Conseil Général des Pyr.-Or. n'a pas su tirer parti) pendant lequel chaque département aurait pu demander une modification des frontières régionales. (cf. article 2)

Après l'expiration de ce délai, il est toujours possible de modifier le découpage régional, mais l'initiative des conseils généraux est réduite aux propositions qui n'augmentent pas le nombre des régions existantes, ou qui n'entraînent pas la création de régions comprenant moins de trois départements. Par la faute de nos élus, nous avons donc perdu l'initiative, "ens han robat la terra", comme dit une chanson du Fanal de Sant Vicenç. Mais ces restrictions ne limitent pas l'initiative gouvernementale, comme en témoigne la création d'une région «Corse», formée de deux départements (cf. les divers articles et documents publiés par l'URC et annexés au présent "Livre Blanc").

Bien entendu, le gouvernement ne pourra prendre une telle initiative que si les Catalans eux-mêmes manifestent leur volonté de constituer une région distincte du "Languedoc-Roussillon", volonté qu'à l'heure actuelle ils peuvent manifester par l'intermédiaire de leurs élus : les conseils municipaux, le conseil général lui-même peuvent formuler des vœux, que le gouvernement ne pourra pas ignorer.

On peut souhaiter un référendum, mais le référendum d'initiative locale, proposé par le candidat écologiste à l'élection présidentielle, et repris à son compte par M. Mitterrand aussi bien que par M. Giscard d’Estaing, n'est pas encore une procédure inscrite dans les lois.

La raison d'être de l'URC, quelles que soient les modalités des votes qui nous concernent, c'est précisément de permettre aux citoyens que nous sommes de faire connaître leur volonté et de la faire prendre en compte par les élus qui nous représentent.

 

 

 

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commentaires

C
<br /> Article très intéressant. Mais si je comprends les aspirations à un plus grand respect des cultures régionales, je ne peux m'empêcher d'y voir quelques dérives possibles, bien que je sois moi-même<br /> contre l'Etat centralisé (et même contre l'Etat tout court).<br /> Le découpage des départements par exemples, s'il est arbitraire, pourrait donner la possibilité, si nous le voulions, de fonder des centres de décisions locaux qui ne soit pas inféodés à une<br /> hypothétique identité régionale, qui ne peut sûrement pas être donnée. S'il y en a une quelque part, elle a été construite et on est jamais obligé de s'en réclamer. Et ce n'est pas parce qu'on<br /> parle la même langue ou bien qu'on cuisine de la même manière qu'on sera d'accord sur les lois à adopter.<br /> De mon côté je viens du Nord-Pas-de-Calais. Cette question dans une telle région ne manquerait pas de poser problème. Si pas mal de gens y ont l'esprit de clocher (qui atteint parfois la taille<br /> d'une petite ville, lorsque les gens refusent, afin de défendre l'identité de leur coin, que leur ville soit rattachée par exemple à Lille...), mais ne sont pas vraiment régionaliste. A quoi se<br /> rattacherait-on? S'il fallait chercher des points communs culturels en dehors de nos frontières régionales officielles, on pourrait certes regarder vers la Picardie, mais on regarderait surtout<br /> vers la Wallonie, mais je ne suis pas sûr qu'eux regarderaient spontanément vers nous! Ceci dit ce serait un problème comparable à celui de la Catalogne.<br /> En somme, je suis contre le centralisme, mais je préfère des régions fondées sur le principe fédéraliste, dans une visée démocratique plutôt que fondée sur une identité régionaliste qui, même si<br /> elle peut être par ailleurs défendue, ne me semble pas pouvoir donner les fondements à une organisation véritablement démocratique.<br /> <br /> <br />
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